La 52e édition du festival de La Chaise-Dieu est lancée, avec son impressionnant cortège de concerts en Auvergne. Le festivalier assidu est parfois confronté à des choix cornéliens, comme ce dimanche soir : certains ont opté pour la célèbre Symphonie « Pathétique » de Tchaïkovski à l’Abbatiale Saint-Robert ; quelques kilomètres plus loin, d’autres ont courageusement attaqué la centaine de marches qui mènent à la cathédrale du Puy-en-Velay, pour entendre le King’s Consort dans un programme homemade, intégralement anglais et a cappella.
En Angleterre avec King
Surplombant la ville de toute sa hauteur, la cathédrale veille sur des environs au relief étonnant ; deux pitons rocheux semblent jaillis de nulle part, en haut desquels se dressent une superbe chapelle et une imposante statue en fonte de la Vierge, visible à des kilomètres. Ces hauts lieux sont chargés d’une histoire toujours en cours : le Puy voit chaque jour des centaines de pèlerins se lancer sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Le périple de ce dimanche soir est tout autre : accompagné par les commentaires du conductor Robert King, le public de la cathédrale est plongé dans la tradition britannique du chant choral sacré, à la découverte de musiques méconnues en France mais qui ne cessent d’être cultivées outre-Manche dans les colleges, les universités ou les églises.
On découvre ainsi d’intéressantes partitions de Herbert Howells, réputé dans le monde musical anglophone – il reçut notamment l’importante commande d’une œuvre pour l’anniversaire de l’assassinat du président Kennedy. Les lignes vocales sont autant de strates qui font lentement évoluer l’harmonie. Guidés par la direction méticuleuse de « leur » King, les choristes s’écoutent attentivement, soignent le rapprochement des timbres, la précision des intervalles, favorisant en même temps la contemplation des spectateurs. On est frappé de constater le rapport étroit entre l’écriture musicale et les qualités des chanteurs : c’est parce qu’ils ont baigné depuis leur plus jeune âge dans les œuvres de Howells, Charles Villiers Stanford ou William Walton que les membres du King's Consort ont acquis une écoute harmonique d’une telle qualité. Morcelé dans la première partie, le recueillement finit par s’installer pour offrir de vrais instants de grâce dans la seconde. Signe d’une immersion réussie, on se surprend à vouloir utiliser la langue de Shakespeare sitôt les applaudissements retombés. God bless the King’s Consort.
Au mont des oliviers avec Rhorer
Un peu plus tôt dans l’après-midi, le bien nommé Cercle de l'Harmonie proposait, sous la direction de Jérémie Rhorer, un autre pèlerinage à La Chaise-Dieu. Dans l’abbatiale Saint-Robert, véritable quartier général autour duquel gravite toujours un nombre impressionnant de visiteurs et bénévoles du festival, le public a applaudi un poignant Christ au mont des oliviers. Solistes, chœur et orchestre ont délivré une interprétation aiguisée de cet oratorio de Beethoven, compensant un Stabat mater de Schubert sans grand relief en première partie. La clarté crue des boyaux sur les instruments à cordes, l’excellente élocution de la Vokalakademie de Berlin, la puissance sèche des cuivres ont magnifiquement servi le drame sacré du maître de Bonn.
Pour les spectateurs assis dans la nef, la surélévation importante de la scène n’a pas favorisé la clarté des plans sonores : les bois ont souvent paru en retrait, engloutis au cœur de l’orchestre. Les solistes n’ont pas souffert de cette disposition singulière. Soprano dont le timbre charnu s’était déjà mis en valeur dans Schubert, Lenneke Ruiten a fait un Séraphin aérien, aux vocalises agiles. Effacé derrière sa partition du Stabat mater, le ténor Mathias Vidal a rayonné ensuite dans le rôle de Jésus, d’une impressionnante intensité dramatique. Dans le rôle mineur de Pierre, le baryton Jean-Sébastien Bou a apporté sa stature imposante et s’est joint aux deux protagonistes dans un trio final parfaitement équilibré. Collectif admirablement virtuose, les violons du Cercle de l’Harmonie ont conclu l’ouvrage rédempteur dans un tempo infernal.
En Italie avec Prandi
Le plus touchant des voyages a lieu le lendemain, dans l’église de Saint-Paulien. Après les monuments visités la veille, cette collégiale romane aux belles pierres polychromes paraît plus ordinaire. Une fois à l’intérieur, on est cependant frappé par la majesté de la vaste coupole en pierre… ainsi que par sa légère et étonnante dissymétrie. On en oublierait presque que le chœur et orchestre Ghislieri, fondé et dirigé par Giulio Prandi, va s’y produire dans son répertoire de prédilection. Trop rarement invité en France, le maestro est un chercheur généreux, passionné, passionnant, qui donne à entendre des œuvres sacrées italiennes, méconnues ou oubliées, de la fin de l’époque baroque. Ce lundi, c’est le Magnificat de Francesco Durante, un motet de Davide Perez et le Stabat mater d’Emanuele d’Astorga qui vont résonner sous la coupole.
Preuve d’un festival en excellente santé, cette programmation audacieuse et intelligente a attiré les foules : l’église est pleine à craquer. La joie de vivre communicative de Prandi rayonne dès les premières notes du Magnificat. Nul besoin de partition pour le maestro, qui montre une maîtrise totale des œuvres qu’il dirige. Les fugues sont claires, intelligibles, équilibrées, les phrases savamment dessinées, le chant expressif avant tout. Le Motetto per San Michele Arcangelo de Perez est une splendide découverte, avec ses contrastes saisissants et sa théâtralité étonnante (Saint-Michel y affronte véritablement le dragon en musique). Après l’entracte, le Stabat mater d’Astorga fait entendre ses moments de douleur intense. Magnifiquement interprété par Sonia Tedla, le poignant solo de soprano « Sancta mater » est ponctué de silences glaçants. Un « Amen » vibrant vient conclure la soirée.
Le bonheur de Prandi est contagieux : conquis, les festivaliers ne laissent pas repartir les Italiens avant deux bis. « Entrez en visiteur, repartez en pèlerin », dit une phrase célèbre au Puy-en-Velay. Après avoir cheminé dans les musiques sacrées autour de La Chaise-Dieu, on serait tenté de faire de cette maxime la devise du festival.