Le concert de ce 23 octobre offre davantage de singularités que sa présentation – un ensemble vocal accompagné à l’orgue – ne le laisse supposer. Le programme propose un voyage à travers l’Europe de la Renaissance au baroque dans un format très ramassé, avec l’orgue en guise de fil conducteur. La plupart des pièces sont précédées d’une improvisation dans le style de chaque compositeur. Leonardo García Alarcón n’hésite pas à sortir du cadre en proposant des modulations audacieuses et des développements inattendus. L’exercice est fascinant, la prise de risque souvent étonnante trouve un point culminant dans le prélude à la manière d’un Haendel qui aurait croisé Elgar sur son chemin.
Au public clairsemé de l’Auditorium de Radio France s’adressent les six chanteurs de la Cappella Mediterranea augmentés de l’organiste Alessandro Urbano qui prêtera sa main en fin de soirée pour la Cantate BWV 21 de Bach. Alarcón passe de la console mobile à la principale et profite de l’espace considérable pour disposer les solistes au fond ou à l’avant-scène, artifice scénographique aussi frappant que la robe en lamé rouge de Mariana Flores qui permet à la soprano de théâtraliser efficacement ses solos spectaculaires.
La première partie parcourt la période franco-flamande (avec Arcadelt et Cipriano de Rore) et s’achève avec Sigismondo d’India et Monteverdi, le chant du cygne du madrigal. Les chanteurs semblent chercher leurs points de repère. Paulin Bündgen (alto) a tendance à chanter trop haut, la mise en place déjà fragile d’Ancor che col partire devient brouillonne dans le Lamento della Ninfa de Monteverdi où une Mariana Flores incandescente déclame son désarroi. Les ressources expressives sont impressionnantes. Cependant un rubato très systématique produirait sans doute des effets plus pertinents dans une acoustique réverbérée ; le procédé convainc moins ce soir, dans cette vaste nef insensible aux idiomes acoustiques du temps.
Les choses s’arrangent sensiblement avec le chant quechua traditionnel où Mathias Vidal se voit confier un tambour ainsi qu’au très spectaculaire jácara où l’abattage de la soprano argentine et la fantaisie rythmique d’Alarcón font merveille. Après un exubérant Offertoire sur les Grands Jeux de Grigny, le « Viens Hymen » des Indes galantes de Rameau trouve en Julie Roset une interprète sensible et au style impeccable. La liberté dans l’aigu et la souplesse sans contrainte concourent à la réussite du quatuor vocal « Tendre amour » qui tiendra également lieu de bis – à cette occasion, le ténor Nicholas Scott y réussira son entrée. On retrouve la voix angélique de Julie Roset dans le célèbre « Eternal Source of Light Divine » de Haendel avant de passer rapidement à une présentation du choral de Bach « Wer nur den Lieben Gott lässt walten ». À la version ornée pour orgue succède la version vocale librement accompagnée.
Enfin le concert s’achève avec le « Sei nun wieder zufrieden » de la Cantate BWV 21. Le contrepoint révèle ici davantage la disparité d’un phrasé où seuls Hugo Oliveira (basse) et Julie Roset offrent une ligne de chant impeccablement soutenue. Malgré l’acoustique inadaptée et un orgue pas absolument convaincant dans ses couleurs sensées évoquer le baroque français et la Renaissance, le charisme d’un Alarcón improvisateur a su transformer le cadre du concert en une cérémonie musicale généreuse qui a élargi notre perception des répertoires anciens.