L’Opéra de Montréal présentait samedi Dialogues des Carmélites, une production réunissant Serge Denoncourt et Jean-François Rivest. Pour rendre l’univers de Poulenc, ceux-ci ont respectivement fait le choix d’une mise en scène sobre et d’un orchestre expansif : un mélange qui, avec l’arsenal d’interprètes à leur disposition, a donné de brillants résultats.

Le metteur en scène Serge Denoncourt s’est doté d’une palette qui respecte l’esprit de l’œuvre : ce sont généralement des tons sombres, des lumières blafardes, des ombres épaisses. À cet égard, la transposition de l’action au XXème siècle paraissait utile. Pour les quelques moments un peu plus légers – on pense notamment aux interventions de la pétillante Sœur Constance –, l’éclairage s’ajuste, les couleurs s’intensifient. Les décors, eux, sont passablement simples. Mais des éléments judicieusement disposés attirent l’œil, et comme pour une peinture ou une photographie, l’image prend des proportions nouvelles. Le décor de la toute première scène, par exemple, ne comporte que trois éléments : une chaise, une table et une chandelle. À eux seuls, ils représentent les appartements du Marquis de La Force. Or, un rideau blanc tiré derrière montre, par un effet de lumière réussi, les silhouettes d’une foule menaçante, figée, faucilles et fourches à la main. La mise en scène se passe ainsi : on suggère plutôt qu’on n’expose.

La même simplicité préside aux costumes. Peu de choses distinguent les sœurs au carmel : Blanche de La Force et Constance ont toutes deux un voile blanc (celui des autres est noir), Mère Marie de l’Incarnation se différencie par une croix qu’elle porte autour du cou, Madame de Croissy est reconnaissable à ses yeux fardés (sombres, ils dénotent l’épuisement dans lequel l’a plongée sa maladie), etc. Nous ne pouvons être plus en accord avec ces choix. De cette façon, rien ne peut distraire le public des bouleversements que lui préparent le texte et la musique.

Plusieurs personnages de l’œuvre présentent des contrastes de caractère. Blanche de La Force, essentiellement craintive, dégage de la fragilité. Sœur Constance, sa camarade plus naïve, respire la joie de vivre. Marianne Fiset et Magali Simard-Galdès, qui ont respectivement joué l’une et l’autre, ont observé ces différences et les ont appuyées. Ainsi, la première offre dans sa voix une jolie délicatesse (on note une agréable douceur dans les aigus) ; dans la douleur, son jeu est sincère et expressif. La seconde, elle, déborde d’énergie. Dans la scène où les sœurs repassent le linge, cette dernière papillonne et virevolte avec jovialité – tellement d'ailleurs qu'elle réussit à décrocher un rire à l’assistance !

Notons, d’autre part, l’impressionnante performance de Mia Lennox dans le rôle de Madame de Croissy. Ses plaintes sont touchantes, formulées dans un phrasé coulant, et ne perdent jamais rien de leur clarté. La scène de l’infirmerie, de ce point de vue, est particulièrement réussie. On la voit râler, souffler, agoniser jusqu’au délire ... Il faut bien le dire : nous avons eu le frisson ! Enfin, soulignons la belle présence de Marie-Josée Lord, qui portrayait Madame Lidoine. Son timbre riche, particulier, marquait le contraste avec sa prédécesseure (l’ancienne prieure, Madame de Croissy) et s’accordait bien avec le caractère plus simple, plus doux de son personnage.

De son côté, le Chœur de l’Opéra de Montréal, préparé par Claude Webster, a livré des moments d’une beauté renversante. Il s’est notamment montré riche en reliefs. L’Ave Maria, entonné pour rendre hommage à la défunte Madame de Croissy, présente un aspect tremblant, fragile, laissant subtilement certaines voix se détacher puis se refondre dans les accords. Le Salve Regina final, soutenu par une mise en scène ingénieuse, frise le sublime. Au son effroyable de la guillotine et sous les regards impitoyables de la foule, les Carmélites disparaissent une à une. Leurs voix sont fortes, intenses, chargées d’émotion... Une rude épreuve pour les cœurs de marbre !

Et le tout n’aurait pas exercé le même impact sans le chef Jean-François Rivest, pour lors aux commandes de l’Orchestre Symphonique de Montréal. Sa direction s’est révélée sensible et propice à l’émotion. Elle est apparue, en ce sens, comme une contrepartie à la sobriété scénique. Les thèmes orchestraux sont souvent exécutés avec largesse (celui ouvrant l’œuvre, entre autres, est fourmillant). Et les solos instrumentaux, tels le cor anglais dans l’Acte I (mystérieux, oriental) et la clarinette dans l’Acte II (triste), nous paraissent en parfaite adéquation avec l’émotion des personnages.

En un mot, avec les Carmélites de l’Opéra de Montréal, Poulenc devait être aux anges !

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