Olivier Py est décidément incontournable en ce mois de décembre à Paris : tandis que son Rake’s Progress fait un retour remarqué au Palais Garnier, voilà que le Théâtre des Champs-Élysées reprogramme sa mise en scène des Dialogues des Carmélites créée en 2013. Deux salles, deux ambiances : point de lupanar, de néons et de costumes à paillettes ici mais un espace dépouillé, aux murs sombres et rêches comme une écorce de bois mort, des habits noirs et blancs, des lumières rasantes.

Dans un geste artistique d’une sobriété bouleversante, Olivier Py ébauche une humanité au seuil de la tombe. C’est celle du couvent de l’opéra de Francis Poulenc, avec ses sœurs conduites à l’échafaud de la Terreur, mais cela pourrait être celle des camps de concentration, qui précéda de quelques années l’écriture de l’ouvrage. Et cela pourrait être n’importe lequel de ces endroits du globe où, il y a des siècles ou seulement quelques heures, la cendre, la peur et la mort ont tout écrasé sur leur passage.
Si de nombreuses séquences comportent des références appuyées au catholicisme du livret (dont une très belle Cène au féminin), la scénographie de Pierre-André Weitz et la mise en scène d’Olivier Py font surtout des Dialogues des Carmélites un drame intemporel, universel, intérieur. Comme ce tableau de l’agonie de la prieure qui clôt le premier acte, où le plancher de la cellule est placé à la verticale, donnant au spectateur l’illusion qu’il siège dans un ciel où Dieu s’est absenté. Ou comme cette scène finale de l’opéra, sur un plateau entièrement nu ; les sœurs entrent et se tiennent debout en une sorte de ronde qui fait face au public et semble prier pour lui. Puis elles sont frappées, une à une, par une main invisible qui les entraîne vers les étoiles. Les symboles en carton-pâte sont un leurre : l’humain est seul dans ces Dialogues, seul face au vide, face à ses interrogations et ses peurs, et c’est vertigineux.
Il faut une sacrée distribution pour incarner ces sœurs. Poulenc lui-même disait avoir imaginé son quintette principal sur des modèles issus de chefs-d’œuvre de l’histoire de l’opéra – Thaïs, Desdémone, Amneris, Kundry et Zerline ! L’équipe réunie ce soir relève brillamment le défi. La prieure de Sophie Koch a l’autorité, le coffre et le charisme de celle qui se dresse finalement face à son Dieu ; sa successeure est incarnée par Véronique Gens qui se distingue par sa stature digne, son élocution irréprochable et sa voix souple. Mais c’est surtout Vannina Santoni qui marque les esprits dans le rôle de Blanche. Maîtrise absolue du souffle, douceur frissonnante du vibrato, richesse des couleurs, présence scénique solaire : la soprano semble transcendée par son personnage.
On est moins sensible en revanche devant les incarnations de Patricia Petibon, qui joue une Mère Marie trop caricaturale dans le chant comme dans le jeu, et de Manon Lamaison (Constance) au timbre prometteur et aux aigus faciles, mais dont la diction comme l’intonation restent parfois perfectibles. Les seconds rôles masculins remplissent quant à eux leur fonction, au premier rang desquels Sahy Ratia (Chevalier de La Force), ténor très mozartien comme le souhaitait le compositeur, aussi solide que bien phrasé. L’ensemble du Chœur Unikanti doit enfin être vivement salué pour ses nombreuses interventions qui allient toujours justesse et profondeur du sentiment.
Sous une mise en scène en noir et blanc, Les Siècles et Karina Canellakis apportent à la géniale partition de Poulenc toutes ses teintes. Il y aura bien çà et là quelques imprécisions, mais on les oublie en admirant les alliages de timbres, les mélodies délicates, les tuttis étouffants : tous les détails du drame sont audibles dans la fosse. C’est aussi cela qui permet à Olivier Py de suggérer aussi sensiblement sur le plateau ce qui reste invisible.