Dans le cadre des célébrations du centenaire de la mort de Puccini, l’Opéra de Nice Côte d’Azur a choisi de mettre en scène Edgar, une œuvre rare et complexe du compositeur italien, présentée dans sa version originale en quatre actes. Cette forme, moins courante que la version abrégée, permet un approfondissement des personnages et des thèmes, donnant davantage de temps pour explorer les dilemmes intérieurs des protagonistes.

L’histoire d’Edgar se déploie autour du personnage éponyme, pris entre ses désirs et sa morale. Tiraillé entre deux femmes – Fidelia, incarnation de pureté et de fidélité, et Tigrana, figure plus sombre et libre –, Edgar est un héros déchiré par la tentation et le devoir, confronté à des choix qui bouleverseront non seulement sa vie mais aussi celle de ceux qui l’entourent.
La mise en scène de Nicola Raab transpose l’intrigue du XIVe siècle au début du XXe, offrant ainsi une résonance historique qui renforce l’actualité des enjeux du personnage. Les décors, bien que minimalistes, se révèlent éloquents : une simple façade de maison, une table imposante et un arbre fruitier qui évoque des éléments bibliques, comme lorsque Fidelia cueille une branche de cet arbre, rappelant subtilement le Jardin d’Éden et la tentation. Cette sobriété visuelle permet de concentrer l’attention sur les dynamiques relationnelles et la psychologie des personnages.
Le chœur, dirigé par le chef d’orchestre Giuliano Carella, joue un rôle crucial dans la production. Raab et Carella exploitent l’espace scénique en plaçant le chœur tantôt à l’avant-scène, imposant et puissant, tantôt dans les coulisses, créant une atmosphère mystérieuse et lointaine. Ce choix de spatialisation enrichit l’intensité dramatique de l’œuvre et souligne le contraste entre la voix individuelle des solistes et la force collective du chœur. Cependant, quelques éléments scénographiques peuvent intriguer, notamment l’apparition d’enfants habillés en tenues contemporaines, avec des détails anachroniques comme un maillot de football floqué au nom de Messi – leur signification reste un peu floue.
Les performances vocales sont à la hauteur de cette production ambitieuse. Stefano La Colla propose une interprétation touchante du rôle-titre, avec une voix pleine d’émotion, bien que parfois couverte par l’orchestre dans les premiers actes. Cependant, il gagne en puissance dans le troisième acte, offrant une prestation passionnée et poignante. Ekaterina Bakanova incarne une Fidelia délicate et gracieuse, avec une voix stable et bien placée qui brille particulièrement dans ses duos avec Edgar, apportant une douceur bienvenue dans cette partition intense. La complicité entre les chanteurs est d’ailleurs convaincante, ajoutant une dimension de réalisme à leurs échanges.
Dalibor Jenis (Frank) se distingue par une diction claire et un timbre léger qui contrastent avec la profondeur de son personnage, tandis que Valentina Boi (Tigrana) illumine les scènes rythmées et complexes grâce à sa maîtrise du souffle. Son interprétation captivante apporte une touche de vivacité à cette production.
À la tête de l'Orchestre Philharmonique de Nice, Giuliano Carella fait preuve d’une énergie débordante, avec une gestuelle ample qui traduit son engagement total. Ayant déjà dirigé la majeure partie du répertoire lyrique de Puccini, Carella trouve en Edgar la pièce finale de ce puzzle musical, pouvant désormais se targuer d'avoir interprété l'intégralité de l'œuvre du compositeur.