Pour le concert d'ouverture de la cinquième édition du Festival Ensemble(s) qui se déroule du 18 au 22 septembre au Théâtre de l’Échangeur à Bagnolet, les musiciens des ensembles fondateurs et leurs chefs proposent cinq œuvres aux univers variés, parmi lesquelles deux créations mondiales : Tobias Feierabend fait du lambeau un principe de composition dans son très poétique Shreds tandis que José Manuel López-López explore musicalement un univers géométrique dans Angle mort.

Les lambeaux de Shreds ne ressemblent en aucun cas au mode de jeu des guitar heroes. Dans cette pièce écrite il y a quatre ans par le jeune compositeur franco-américain pendant la pandémie de Covid-19 (il était alors encore étudiant au CNSMD de Paris), la guitare a pourtant un rôle très important mais dans un registre doux aux accents poétiques.
Tout part d'une berceuse. Dès le départ, elle est diffractée. On pourrait entendre dans le motif du piano un mobile pour enfant qui tinte, accompagné d'une note aiguë entretenue par crotales et accordéon. Le registre médium et l'entrée de tout l'ensemble apportent une profondeur qui donne une autre perspective aux lambeaux. Après un coup de cloche tubulaire, un nouveau tableau s'installe : le discours est plus décharné, les notes s'allongent, on sent un souffle qui traverse la matière. À ce moment suspendu succède une stase temporelle portée par quelques notes parsemées par la guitare. Les percussions et les bois, par des fulgurances bruiteuses, essaient de la perturber sans y parvenir.
Pour Angle mort, José Manuel López-López s'appuie sur la rencontre de figures géométriques tridimensionnelles qu'il utilise comme principe de composition. Pour rendre sensible cette idée et mettre en avant le thème de la notation (thème du festival cette année), le compositeur espagnol a fait appel au vidéaste Thomas Lanza. Il résulte de cette collaboration une vidéo de la partition manuscrite avec une surimpression de figures géométriques en couleurs – sphère, cubes, triangles – qui aboutit au mélange de ces formes. Si une partition a toujours un charme visuel, on peine à comprendre l'intérêt de ce média supplémentaire qui ne retient pas spécialement l'attention. Ce qui intrigue d'emblée, ce sont plutôt les trois instruments (tuba, guitare et accordéon) sur le devant de la scène. Pourquoi les avoir placés solistes alors qu'ils n'en prennent pas le rôle ? Dans cette partition foisonnante et toujours à bloc, de laquelle se dégage une sorte de chaos perpétuel, on ne retient le tuba que pour des suraigus en trémolos qui apparaissent de temps à autres. La guitare – censée imiter Jimi Hendrix – tourne en rond et ne trouve jamais sa place dans l'équilibre de l'ensemble.
Avant cela, et après une délicate interprétation d'Exercice de Sarah Nemtsov par deux étudiantes du CRR d'Aubervilliers, l'œuvre Moos (« mousse » en français) de la compositrice nous aura plongés dans un monde organique aux sonorités fascinantes. Au centre du plateau, des micros captent le son de percussions stimulé par les instruments autour. Hélène Colombotti, micros fixés aux poignets, pédales de volume aux pieds, équilibre ces résonances et joue elle-même, en frappant plus ou moins fort, sur des cymbales, une grosse caisse et une plaque tonnerre. Si la pièce crée une ambiance immersive dans laquelle il est facile de rentrer, on aurait aimé mieux discerner la singularité du dispositif de percussions dans une partie soliste. Il n'en reste pas moins que Moos séduit par son atmosphère éthérée formée de masses sonores mouvantes. La compositrice allemande maîtrise parfaitement l'écriture orchestrale et réussit à intégrer des sonorités aussi particulières que celle de la guitare électrique ou des harmonicas. Le monde inouï de la mousse fourmille d'évènements sonores contrastés. Nemtsov arrive pourtant à les relier, comme en symbiose, sans que l'auditeur sente de rupture.
En conclusion de la soirée, Aus.Weg de Georg Friedrich Haas pour petit ensemble signifie surtout « sortie », mais par quel chemin ? Trois grandes parties structurent cette œuvre pleine de délicatesse qui inclut la séduisante sonorité du hautbois baryton. Les cordes et les vents créent de grands soufflets, de plus en plus inquiétants, sur lesquels se détachent des trémolos du piano et des claviers de percussion. L'œuvre prend un véritable tournant lorsque la percussionniste (toujours Hélène Colombotti) rejoint un stand préparé avec des plaques de métal, des cloches tubulaires et des petits gongs en bronze. Le reste des musiciens entretient la résonance des quelques notes jouées. La véritable « sortie » s'effectue en compagnie de motifs très lyriques donnés tour à tour à la clarinette basse, au hautbois baryton et à l'alto, parachevant ce voyage sonore avec une poésie rare.