S’il n’est plus besoin de présenter William Christie et Les Arts Florissants, connus des publics français et toulousain, c’était en revanche la première fois que le Théâtre du Capitole accueillait le célèbre ensemble et son chef fondateur. Soucieux de s’adapter à l’acoustique de la salle, l’orchestre était d’ailleurs disposé de façon spécifique à mi-hauteur entre fosse et parterre. L’association prometteuse avec le metteur en scène Robert Carsen ambitionnait de restituer sur instruments d’époque l’opéra-ballet du compositeur français André Campra (1660-1744). Originaire d’Aix-en-Provence, un temps toulousain, le musicien compose Les Fêtes Vénitiennes en 1710 alors qu’il occupe depuis plusieurs années la scène de la création musicale parisienne.
Formé d’un prologue et d’un triptyque, l’opéra invite à visiter une Venise extravagante à travers plusieurs intrigues dissociées, équivalent baroque du film L’amour a ses raisons (2011). La mise en scène proposée sur l’ouverture, invite le spectateur à se plonger dans cette Venise fantasmée : les touristes forts de leurs i-phones et de leurs grosses valises parcourant une place visuellement proche de San Marco abandonnent leurs attributs pour enfiler des costumes de carnaval. L’épanadiplose accomplie, ils se réveilleront, un peu hagards, lors de l’épilogue.
Le plateau est riche d’artistes nouveaux pour le public du théâtre. Tous les chanteurs sans exception, adaptent systématiquement leur voix aux sentiments et au rang des multiples personnages qu’ils incarnent au cours de la pièce. Ainsi François Lis (Le Carnaval, Léandre, Rodolphe) fait jouer sa puissante et généreuse voix de basse pour jouer tantôt l’allégorie écrasante (la voix du Carnaval est diffusée par micro), l’amant trop fier et volage, ou un rôle plus effacé. Les allégories de la Folie (Emilie Renard) et de la Fortune (Elodie Fonnard) dominent largement la scène de leurs mimiques. Les flatteries ironiques et hypocrites du combat entre le Maître de Danse (Cyril Auvity) et le Maître de Musique (Marcel Beekman), tournés en ridicule par la partition elle-même qui fait des deux arts une symbiose nécessaire et non une opposition, sont admirablement exagérées et jouées. En retrait sur leurs autres rôles Rachel Redmond (Irène / Léontine / Flore) et Jonathan McGovern (Alamir / Damire / Borée) se livrent entièrement lors de l’ultime entrée (« l’Opéra », avec de vraies fausses bornes de scène et une trappe pour souffleur factice). Malgré l’aspect éminemment comique du livret les rôles d’Isabelle, de la Raison / Lucie / Lucile (Emmanuelle de Negri), de Zéphir (Reinoud Van Mechelen, également Thémir) ou de Démocrite (Sean Clayton) et Héraclite (Geoffroy Buffière) n’en sont pas moins touchants. Difficile, autrement que par le caractère dessiné par le livret, de voir un artiste qui se détache du lot tant le travail et la philosophie de la représentation se veut et se ressent comme collective. Les vibratos déformants (à l’instar des « saillies » italiennes raillées dans l’opéra) sont gommés au profit du texte français, toujours intelligible, malgré la diversité des nationalités représentées par le casting.