Marcos Morau est de retour au Théâtre de Chaillot avec Firmamento, une nouvelle création interprétée par sa compagnie La Veronal. Le chorégraphe espagnol a été prolifique au cours des dernières années avec son époustouflant Sonoma en 2020, inspiré de l’ambiance des films de Buñuel (et présenté dans un format gigantesque à Avignon, sur la grande scène de la cour d’honneur du Palais des papes), ainsi que plusieurs créations pour des compagnies étrangères telles que le NDT, le Ballet de l'Opéra de Lyon ou encore les Grands Ballets Canadiens. Pièce destinée aux adolescents, Firmamento met en scène les projections de l’enfance, et ce moment où, en grandissant, l’imaginaire se sédimente pour donner forme à un réel qui advient.

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Firmamento de Marcos Morau
© Marina Rodriguez

Au-devant d’un écran blanc, une longue table de mixage est posée en travers de la scène, couverte de consoles clignotantes, de multiples accessoires (tels qu’une batterie déstructurée et bizarrement insérée dans les caissons de la table), un tourne-disque et des micros câblés. On a l’impression d’entrevoir une arrière-scène, tant l’espace semble confiné et encombré d’objets techniques. Assis sur le bord de la table, à la lumière d’un lampion, un homme joue de l’accordéon, tandis que cinq autres personnages grouillent, vêtus d’un uniforme identique : casquette, chemise et pantalon bleus cousus avec des étiquettes aux multiples motifs japonisants (drapeaux, dessins, logo Kawasaki). On entend des chants grêles et des annonces en japonais.

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Firmamento de Marcos Morau
© May Zircus

Avec cette créativité et ce sens minutieux du détail, signatures de La Veronal, Firmamento mélange plusieurs mondes : l’univers « backstage », l’enfance et l’imaginaire onirique du manga. Les uniformes des danseurs et le cartable carré dont deux d’entre eux se saisissent leur donnent l’apparence d’écoliers. De la même façon, le petit train qui traverse la pièce croise deux projections : l’enfance et le Japon. Des créatures étranges apparaissent ensuite sur scène – les marionnettes miniatures d’un vieillard et d’une sorcière, ou encore un ours et un inuit de taille humaine – et nous transportent dans l’imaginaire des films de Miyazaki, peuplés de la sorcière Yubaba et du géant Totoro.

Malgré sa mise en scène impressionnante, la première partie de Firmamento contient une longueur. Enserré dans un cadre de scène très aplati, du fait de la grande table qui occupe l’espace, le mouvement des danseurs peine à prendre de l’ampleur. Leurs gestes saccadés, quasiment épileptiques, se désarticulent de façon impressionnante – avec une mention toute particulière pour la danseuse Lorena Nogal, toujours aussi spectaculaire – sans pour autant qu’une dynamique de groupe se forme. La danse est d’ailleurs supplantée par le récital inquiétant d’un pantin à la voix chevrotante d'un vieillard, habillé d’un gilet rouge à carreaux et animé par les danseurs, et par un petit train qui surgit (avec ses rails !) de la table et emporte danseurs et marionnettes.

<i>Firmamento</i> de Marcos Morau &copy; May Zircus
Firmamento de Marcos Morau
© May Zircus

La scène se vide alors, pour laisser place à une rangée de sièges de cinéma face à l’écran blanc. Un dessin animé épique (signé Marc Salicru) est projeté, sur La Chevauchée des Walkyries, et montre un emboîtement infini – et réussi – de mises en abyme, à partir de l’image d’un enfant et son père, imbriquée dans une scène vue par un public, dans lequel on retrouve à nouveau le père et le fils. L’écran s’ouvre enfin sur un nouvel espace de scène, totalement nu, dans lequel les danseurs-spectateurs pénètrent. Un téléviseur s’approche d’eux, oppressant, tandis qu’une voix résonne, décrivant l’évolution de l’homme, survivant des âges et des pires calamités, pour aujourd’hui sombrer dans les vicissitudes des écrans et de la lobotomisation technologique. Des filtres de couleur embrasent la scène, tandis que la danse explose enfin – mais un peu tard – hachée par les effets stroboscopiques de la lumière. Voyage brillant à travers les images et une succession d’écrans, Firmamento finit donc par imploser de façon tranchante et géniale, malgré son début plus nébuleux.

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