Il pleuviote sur Lyon, ce samedi 22 février. Mais une fois entré dans l’Auditorium, on s’émerveille de la délicatesse des précipitations pianistiques que Francesco Piemontesi fait tomber sur les oreilles tendues vers la scène.

Francesco Piemontesi © Camille Blake
Francesco Piemontesi
© Camille Blake

L’entame de la Sonate « Waldstein » de Beethoven se fait rapide : l’« Allegro con brio » ne manque pas de précision pour autant, ses contrastes entre les graves et les aigus y sont sculptés avec soin. Le pathos attendu sur les motifs lents, quant à lui, se fait sans exubérance, par le biais du toucher, qui dégage plus de clarté, et seulement un soupçon de rubato. Là est tout le jeu de Piemontesi, que le public absorbe avidement : pas de clinquant, pas d’effet de manche, mais une émotion intime généreusement donnée en offrande aux auditeurs. Il n’y a aucun paramètre sur lequel le soliste ne sache jouer, lui qui dégage des sonorités les plus diverses du Steinway de l’Auditorium, tantôt feutrées, tantôt cristallines dans l’« Adagio molto ». Et quand ses doigts descendent le clavier dans la partie finale « Prestissimo » du troisième mouvement, on reste ébahie par le charme de ce doigté qui, dans toute sa célérité ne manque pas d’une tendresse inattendue ici.

Progressivement, la certitude s’installe que nous avons affaire à un faiseur de pluie aux doigts de magicien. Ainsi la Sonate op. 109 nous accueille-t-elle ensuite par une petite pluie de printemps, légère mais délicieuse, dont les gouttes tombent telles des perles. L’agitation du deuxième mouvement les fait revenir, plus grosses, de cette sorte qui vous tombe sur la nuque, ou dans la manche, impromptue. Dans la recherche des différents plans sonores de l’« Andante molto cantabile », Piemontesi est pédagogue, dégageant les reliefs avec exactitude, mais sans pédantisme, et reste encore courbé sur son dernier accord, captif lui-même de la musique envoûtante qu’il vient de créer.

Quant à elle, la Grazer Fantasie de Schubert, rarement donnée, est un petit enchantement romantique : à la calme introspection suivent des moments véloces et enjoués, dans lesquels, dans notre imaginaire, les enfants sautent à travers les flaques d’eau que le piano vient juste de produire, en rassemblant les petites précipitations à peine tombées de ses cordes. Bien plus connus, les Quatre Impromptus D.935 élargissent enfin les scènes oniriques de nouveaux acteurs. La ballerine s’avance sur la pointe de ses pieds, avant de s’en aller en sauts plus amples, le temps d’une brève éclaircie. Est alors conjuré par le soliste un arc-en-ciel, dont la délicate impression s’efface avec les derniers accords de l’Impromptu n° 2, tandis que, dans le n° 3, les ornementations joyeuses et coquettes font briller les pavés, encore humides, sous le soleil revenu. Quand, dans le dernier de la série, Schubert se fait plus hongrois, Piemontesi boucle la boucle et revient vers l’intensité prodiguée dans le premier mouvement de la Sonate « Waldstein », célébrant le rythme accidenté, mais avec une nonchalance inattendue, plutôt issue des Águas de março.

Piemontesi, cela s’est avéré ce soir, est l’un des plus grands interprètes sur la scène pianistique actuelle, et il se fait généreux dans son partage encore jusque dans ses trois bis. Y précédant le deuxième mouvement de la Sonate en fa majeur KV 332 de Mozart, la transcription de « Wachet auf, ruft uns die Stimme » de Bach est animée par cette joie et plénitude intimes qui vous touchent au plus profond, capable de faire rejaillir sur le public l’intériorité de l’interprète, passeur d’émotions, et de vous faire tomber les larmes sur les joues.

*****