Surprise et chuchotements dans les rangs de la Philharmonie de Paris : Janine Jansen vient de quitter la scène après le Troisième Concerto de Mozart sans offrir de bis en solo à ses fans venus en nombre, de même qu'elle s'était abstenue d'en rajouter à l’issue du Cinquième Concerto avant l’entracte. Mais c’est très bien ainsi ! Il aurait été incongru de rompre le fil d’une soirée animée avant tout par le sens du collectif de la Camerata Salzburg.

Janine Jansen © Marco Borggreve
Janine Jansen
© Marco Borggreve

Fondé au début des années 1950 au sein du Mozarteum (l’école de musique de la ville natale de Mozart), cet orchestre de chambre prit véritablement son envol sous le mandat du fameux violoniste hongrois Sándor Végh, directeur musical de la formation de 1978 jusqu’à sa mort en 1997. Par la suite, Roger Norrington vint apporter à la Camerata ses préceptes historiquement informés et Leonidas Kavakos poursuivit la vieille tradition salzbourgeoise du Konzertmeister dirigeant les troupes depuis le poste de violon solo. Aujourd’hui encore, la Camerata Salzburg est fidèle à cette coutume : ce sont ses deux violons solos qui en assurent la direction musicale, tandis que tous ses membres assument collectivement la direction artistique de l’ensemble.

Dans une grande salle Pierre Boulez un peu trop vaste pour la nature intime du programme de ce soir, il est fascinant de voir cet esprit collégial se manifester en musique. Pour accompagner les concertos mozartiens, les Salzbourgeois ont choisi des œuvres qui leur vont comme un gant : les Symphonies n° 6 et 7 de Haydn, des petits bijoux qui tiennent autant du concerto que de la symphonie. Officiant depuis un tabouret légèrement plus haut que ses partenaires, Giovanni Guzzo est un Konzertmeister constamment élégant et juste, qui joue en priorité pour les siens, même quand la partition exige qu’il incarne le maître de la gamme donnant la leçon à ses collègues (au début du deuxième mouvement de la Symphonie  6).

Le violoniste ne brandit d’ailleurs jamais son archet comme une baguette pour faire la leçon aux vents ; c’est par le regard, la respiration et l’écoute que l’ensemble se tient et que les solistes s’extraient du collectif comme dans un ballet bien réglé. On observera certes une tendance à perdre du tempo dans les mouvements vifs, quelques minuscules malentendus dans la mise en place, quelques accrocs dans l’intonation, mais c’est sans réelle importance face aux qualités essentielles qui se dégagent du jeu de la Camerata : dans un ensemble qui brille par sa maîtrise du discours classique et par sa science des contrastes (quels pianissimos !), toutes les individualités semblent s’épanouir librement, depuis la flûte rayonnante de Wally Hase jusqu’à la contrebasse pleine d’esprit de Sepp Radauer, sans oublier la finesse remarquable du pupitre de cors et les inspirations du brillant Anton Spronk au violoncelle solo.

Et Janine Jansen dans tout ça ? Connue pour son jeu intense dans les grands concertos romantiques, la violoniste néerlandaise conserve sa sonorité solaire tout en mettant ce soir de l’eau dans son vin pour s’adapter à la rhétorique mozartienne : allégeant l’archet ici, relâchant une fin de phrase là, épurant un motif de son vibrato si reconnaissable un peu plus loin, Janine Jansen réalise la prouesse de parler la langue maternelle de la Camerata Salzburg comme si c’était la sienne. Par endroits toutefois, la violoniste enlève son masque classique, remettant soudainement de la lourdeur dans la corde ou évacuant les articulations du discours pour mieux planer sur le phrasé. Si le décalage produit n’est pas toujours heureux, cette liberté très personnelle convient en revanche très bien aux passages fantaisistes des concertos : les rondos et les cadences seront particulièrement bien menés.

Ultime surprise et beau symbole d’une soirée bien pensée jusqu’au bout, la Camerata Salzburg donnera pour sa part un bis après le triomphe de la Symphonie  7 de Haydn : le finale de la Symphonie  29 de Mozart… avec une certaine Janine Jansen assise dans les rangs de l’orchestre.

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