La tension est palpable chez les musiciens du Philhar, à quelques minutes de ce concert du vendredi pas comme les autres – si bien que même la chute fracassante du programme d’un des spectateurs sur la scène à quelques microsecondes du départ, applaudie avec ironie par l’auditoire, ne parviendra à les déconcentrer. Enregistré pour Arte (et disponible ici), le programme met à nu ses musiciens propulsés chambristes le temps de l’endiablée Revue de Cuisine de Martinů, puis solistes au fil de la méconnue Symphonie concertante pour vents de Mozart, avant d’embrayer sur l’attendue Symphonie n°7 de Dvořák., sous la baguette bienveillante mais rare, en ces lieux, de Leonidas Kavakos. Séduisant rapprochement de styles divergents, mais surtout de timbres inaccoutumés, ce choix d’œuvres audacieux met à l’honneur des instruments aussi inhabituels que le basson ou le cor, brouille les harmonies familières. Pour un résultat à l’éclat et au charme certains.

La Revue de cuisine résume en elle-même assez bien cette ambition : emblématique du Paris des années folles, le sextuor dissémine des sonorités symphoniques, jazzy et music-hall. Au diapason de cette embarquée cyclothymique, le piano swing de Catherine Cournot se mêle aux glissendi et galops pizzicati de Floriane Bonanni au violon et Renaud Guieu au violoncelle, accompagne les mélopées de la clarinette de Jérôme Voisin, le tango bouché de la trompette d’Alexandre Baty, le lamento du basson de Wladimir Weimer. Précis, rythmé, le jeu des musiciens brille également par son expressivité : le Tango et la Marche Funèbre ont la délicatesse et la sobriété nécessaire, que l’enchaînement sur les enlevés Charleston et Final n’entache en rien.

La Symphonie concertante confronte à nouveau le décidément irréprochable Jérôme Voisin à des touches singulières : le basson encore, porté ici par Julien Hardy le doux hautbois d’Hélène Villeneuve et le cor tenace d’Antoine Dreyfuss. Entre en scène Leonidas Kavakos, engoncé dans un costume peu protocolaire et dans ses cheveux dépeignés. Cou légèrement avachi, dos raide, coudes haut, gestes droits et fragmentés : le célèbre violoniste dirige avec audace une œuvre aisément pilotable, joue habilement avec la simplicité des traits, appuie les questions et réponses en rendant évidente l’architecture orchestrale, sans que jamais les pupitres n’apparaissent affaiblis : les jeux de timbres et l’équilibre de l’harmonie résonnent sans difficulté. C’est une réussite, abondamment applaudie par les spectateurs.

Au retour de l’entracte, la Symphonie n°7 est très attendue. Son Allegro maestoso a l’ampleur héroïque de Beethoven, la pudeur pathétique de Brahms. Kavakos, sautillant sur Mozart, s’adonne avec fougue et émotion à ce premier mouvement, avant de corseter un peu son jeu sur les sonorités pastorales du Poco adagio. Les chagements abrupts de tempi et de caractères ne se font cependant pas attendre, et le mouvement s’enchaîne sur un Scherzo aux atours de danse slave. L’Allegro final, ample, effréné mais toujours délicat et intuitif, conclu sur de chaleureux applaudissements, achève de convaincre des qualités du chef et de sa complicité avec un orchestre que l’on aura eu grand plaisir à découvrir sous tant de coutures. 

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