Pour leur cinquantième concert à la Salle Bourgie, les Violons du Roy et le chef Bernard Labadie offraient au public quatre cantates de Bach (BWV 52, 82, 84 et 58), en compagnie des solistes Lydia Teuscher (soprano) et Tyler Duncan (baryton). Le tout formait un joli bouquet dans le froid et la grisaille de dimanche à Montréal !

Le concert s’ouvre sur la lumineuse sinfonia de la cantate Falsche Welt, dir trau ich nicht (« Monde perfide, je ne te fais pas confiance ! »), BWV 52. Cette section introductive reprend essentiellement le premier mouvement du Premier concerto brandebourgeois, dont le caractère brillant est rehaussé par l’ajout de deux cors aux vents. Labadie lui donne un tempo légèrement plus rapide que la moyenne et lâche la bride aux violons : dans une texture resserrée, ce sont leurs lignes qui prédominent. L’effet en est vivifiant. Il adopte ensuite une conclusion soignée et limpide, de sorte que, quelques minutes à peine dans le concert, l’attention de l’auditeur est parfaitement captivée.

Le texte de cette cantate présente une antithèse : la soprano se lamente d’abord et se méfie du « monde perfide » dans lequel elle vit, rempli d’ennemis, de « scorpions » et de « serpents » ; puis, elle se console et place son espérance dans un Dieu fidèle. À notre grande satisfaction, Lydia Teuscher prend soin de respecter l’esprit du texte et en dégage les tensions par un jeu passablement théâtral. Selon qu’elle cherche à exprimer le dépit ou la sérénité, ses inflexions s’ajustent. À ceci s’ajoute un timbre frais, évoquant une douce fragilité — ce qui n’empêche pas la chanteuse de livrer des mélismes musclés, comme dans l’aria de la cinquième section. Un choral conclut la cantate, auquel s’ajoutent non seulement les chanteurs Maude Brunet (mezzo-soprano) et Jacques-Olivier Chartier (ténor), mais aussi… le public ! Il est effectivement d’usage chez les Violons du Roy, lorsque c’est possible, de faire chanter ce dernier. À cet effet, des partitions avaient été distribuées avant le concert. Quelque comique que soit l’exercice, il fait naître un appréciable sentiment de communion entre les musiciens et l’auditoire.

Quatre versions existent de la cantate Ich habe genug (« Je suis comblé »), BWV 82. Les Violons du Roy ont présenté celle pour basse. Les paroles expriment la béatitude d’un Chrétien quittant la vie terrestre et se préparant à entrer dans celle de l’au-delà. Le hautbois y occupe un rôle important (Bach recourt volontiers à cet instrument lorsqu’il s’agit d’évoquer la mort). Dans cet esprit, Labadie le place nettement au-dessus des battements de cordes de la première section. L’instrumentiste y énonce des phrases très senties, sans presse, tantôt en pointant hors de la mêlée, tantôt en s’y fondant imperceptiblement. La voix recueillie de Tyler Duncan s’y ajoute, et commence alors entre eux un émouvant dialogue. À propos du baryton, on remarque l’habile façon qu’il a de terminer ses phrases (tout en douceur), même s’il faut admettre que l’on perd parfois sa voix dans les graves (pour les notes tenues notamment). Autrement, l’on perçoit dans son timbre une tendresse qui correspond bien à l’atmosphère du morceau, qu’une basse plus imposante n’aurait peut-être pas rendue avec autant de justesse.

Le troisième morceau présenté, Ich bin vergnügt mit meinem Glücke (« Je me contente de mon bonheur »), BWV 84, donne l’occasion de réentendre Teuscher. On remarque cette fois dans sa voix un haut degré de malléabilité, qui lui permet de passer d’un volume très doux à un volume élevé en peu de temps. Deux moments sont par ailleurs notables dans cette cantate : l’air plus gai de la troisième section, où le premier violon et le hautbois s’interrogent et se répondent avec toujours plus de vivacité, et la cinquième section, où apparaissent à nouveau les choristes dont les voix s’épousent à merveille.

Pour conclure, les musiciens offrent un duo pour soprano et basse, la cantate Ach Gott, wie manches Herzeleid (« Ah, Dieu! que mon cœur a de tourment ! »), BWV 58. Il s’agit d’un dialogue entre une âme chrétienne tourmentée par « une vie infernale » et le Christ, qui lui procure réconfort. Si au départ le cor anglais, qui double la mélodie de la soprano, a pu ici masquer un peu l’entrée de Teuscher, l’équilibre entre les pupitres s’est tôt rétabli. Et la cinquième et dernière section, plus dansante, présente un charmant contraste : la voix claire de Teuscher plane paisiblement au-dessus de celle de Duncan, qui se dépense en vigoureux mélismes et traits de gamme.

Ce concert avait lieu dans le cadre d’une intégrale des cantates de Bach à la Salle Bourgie. Pour la saison 2016-2017, l’aventure se poursuit avec d’autres artistes jusqu’en avril. Mais la prochaine collaboration des Violons du Roy et de Labadie à la Salle Bourgie aura lieu en mars avec un invité de marque : le claveciniste Jean Rondeau. Ils interprèteront ensemble des œuvres de Händel, de Telemann et des fils Bach. À ne pas manquer!

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