En sortant de l’Opéra-Comique après la deuxième représentation de Macbeth Underworld de Pascal Dusapin, on se dit qu’un tel ouvrage, un tel spectacle, aurait toute sa place dans les grands théâtres du West End à Londres, surtout qu’il est donné en anglais ! Après tout, c’est bien le même Thomas Jolly dont la mise en scène de Starmania est bientôt redonnée à la Seine Musicale. Même si ce Macbeth revisité a été créé à La Monnaie à Bruxelles en 2019, même si Pascal Dusapin retrouve la salle Favart où fut créé en 2008 son premier opéra, cette formidable pièce de théâtre musical pourrait toucher de bien plus vastes publics que les habitués des scènes lyriques, on en est convaincu.

<i>Macbeth Underworld</i> à l'Opéra-Comique &copy; Stefan Brion
Macbeth Underworld à l'Opéra-Comique
© Stefan Brion

Parce que la première évidence de ce Macbeth Underworld, c’est la clarté, l’accessibilité d’un ouvrage qui n’a nul besoin d’être décrypté, analysé avant d’être vu. Les huit « chapitres » qui forment cet opéra joué sans discontinuité sont imaginés par le compositeur Pascal Dusapin et son librettiste Frédéric Boyer comme des réminiscences librement inspirées du Macbeth de Shakespeare. Ces « chapitres » sont autant de tableaux qui relèvent tour à tour du conte fantastique, du film d’horreur, du cauchemar éveillé.

Dans le fabuleux décor de château hanté et de forêt profonde de Bruno de Lavenère, le prologue s’ouvre par un puissant et magnifique bloc sonore, comme une signature de Pascal Dusapin – on y reviendra – et avec l’apparition d’Hécate, déesse de la nuit et de la mort, qui convoque les esprits de Macbeth et Lady Macbeth, les maudits, qui vont rejouer leur histoire sans fin comme des comédiens dans un dernier rôle. John Graham-Hall y est parfait, comme il le sera plus tard dans le rôle du Portier, gardien des Enfers.

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Macbeth Underworld à l'Opéra-Comique
© Stefan Brion

Thomas Jolly et son complice aux lumières, Antoine Travert, signent eux aussi d’emblée un théâtre de légende avec des personnages qui surgissent d’immenses troncs d’arbres morts, dont les branches s’animent, s’incrustent dans l’action. Le premier tableau convoque sur la lande un homme en sang – le spectre de Banquo ? – et un enfant orphelin – le jeune fils de Lady Macduff ou, plus probablement, l’enfant que Lady Macbeth aurait arraché de son sein ? Ces deux personnages ravivent les obsessions de puissance et de gloire de Macbeth et sa femme, tandis que les Sœurs Bizarre – formidablement incarnées par Maria Carla Pino Cury, Mélanie Boisvert et Melissa Zgouridi – qu’on croirait échappées d’un tableau de Jérôme Bosch, invitent à « voyager rapide sur terre et sur mer », relayées par le chœur des femmes (merveilleux accentus).

C’est le moment de s’arrêter sur l’écriture orchestrale et vocale de Pascal Dusapin, qui atteint ici une sorte d’acmé, comme si les années, depuis les grandes pièces d’orchestre (les sept Solos en particulier) et les premiers ouvrages lyriques, avaient tamisé, raffiné ce qui était naguère puissance brute, jaillissement étourdissant. Ici, toutes les interventions du chœur et des Sœurs Bizarre provoquent l’émotion pure, malgré le texte ou le contexte. Quant à l’orchestre, en dehors du coup d’envoi initial et du sommet conclusif, il est traité avec un luxe inouï de combinaisons sonores, de mélanges timbriques, sans que jamais le geste paraisse gratuit ou incongru : le vaste instrumentarium requis par Dusapin est toujours utilisé avec une précision millimétrée (une vingtaine d’instruments à percussion, un archiluth, un orgue).

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Macbeth Underworld à l'Opéra-Comique
© Stefan Brion

Les deuxième et troisième tableaux nous plongent au cœur de la nuit, dans une cérémonie de souvenir et d’obsession pour Macbeth et Lady Macbeth tourmentés par des hallucinations et des rites sorciers. « Ces deux-là, c’est le trouble, l’aberration, la violence, le désordre total », explique le compositeur. « Pourquoi sommes-nous là ? » se demandent ensemble la mezzo-soprano Katarina Bradić et le jeune baryton américain Jarrett Ott (qui n’a eu que quelques semaines pour reprendre un rôle écrasant, en raison du forfait de Jean-Sébastien Bou). C’est peu dire que l’un et l’autre chanteurs portent leurs personnages jusqu’au paroxysme.

Ils le prouveront encore dans les « chapitres » qui succèdent à cette sorte d’intermède apaisé en forme de requiem (Nox Perpetua) chanté par les Sœurs Bizarre : lorsque Lady Macbeth sombre dans la folie, rejoue la célèbre scène de la tache de sang et sa propre mort. Lorsque dans le « chapitre final » Macbeth affronte le Spectre – bouleversant Hiroshi Matsui – et de nouveau l’Enfant, pris au piège de la forêt de Birnam qui se referme sur lui dans le déluge sonore provoqué par Franck Ollu et l’Orchestre de l’Opéra de Lyon. La longue ovation d’une salle comble salue autant la force de la pièce que l’engagement des interprètes.

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