Il est des soirs où les éléments semblent réunis pour faire des soirées lyriques aux Chorégies des moments magiques. Pour l’ouverture de l’édition 2016, le mistral était justement dosé afin d’éviter que la chaleur ne soit écrasante sans pour autant compromettre la projection du son. En ce soir de première, les spectateurs du Théâtre Antique se sont surtout retrouvés envoûtés, sous les étoiles, par un grand moment d’opéra avec comme trophée pour les artistes une qualité d’écoute encore jamais perçue aux Chorégies. Et pour cause, Puccini et sa Madame Butterfly ont été servis par des interprètes de talent.

Sur scène la magie a été immédiate. Nadine Duffaut joue la carte de la tradition en présentant une mise en scène d’un raffinement et d’un soin bienvenus. Le plateau est recouvert d’eau. Sur cette eau, de petits îlots en bois tous reliés les uns aux autres viennent délimiter les différents espaces de la maison de Butterfly. D’un coté la chambre, de l’autre un jardin japonais, au centre le salon. C’est dans cette esthétique épurée et ô combien zen que le drame va prendre place. Au milieu de lumières chaudes et très flatteuses, les costumes de Rosalie Varda sont resplendissants. La scène où Butterfly fleurit son habitation restera dans les esprits avec des pétales qui tombent depuis des porches, volants dans le ciel d’Orange, avant de se poser soit dans l’eau ou sur le plateau sur lequel était projeté un motif floral. En définitive une lecture occupant à merveille l’espace immense et complexe du plateau d’Orange, parvenant à resserrer l’intrigue sur l’essentiel et à apaiser le regard par sa géométrie et son éclairage captivants.

Dans un pareil cadre, difficile pour les musiciens de ne pas trouver l’inspiration. L’Orchestre Philharmonique de Radio France , placé sous la direction de son directeur musical Mikko Franck, semble en parfaite communion avec une direction d’une grande subtilité. Rarement la musique de Puccini n’est apparue aussi intime. La prouesse est d’autant plus satisfaisante qu’Orange est tout sauf un lieu de représentation intime. Et pourtant toute la langueur, la sensualité, la mélancolie de la partition sont perceptibles. L’introduction du troisième acte marque particulièrement avec ce crescendo dramatique merveilleusement exécuté par un orchestre dans sa forme des grands soirs. Les chœurs des opéras de région sont également apparus bien disciplinés et séduisants lors du chœur « bouche fermée » au final de l’acte II.

Sur le plateau, l’enchantement continue avec une distribution proche de l’idéal. Carlo Bosi campe un Goro divinement piquant et vif là où Marc Barrard est un Sharpless tout en rondeur et justement attachant. Du côté de la gente féminine, Marie-Nicole Lemieux est une belle Suzuki dévouée et sincère tout le long de l’opéra.

Reste que Madama Butterfly est avant tout l’œuvre d’un duo et d’un rôle titre qui monopolise quasiment toute l’attention. Bryan Hymel met son timbre de velours au service d’une interprétation très convaincante bien que la projection ait été timide. Le ténor américain présente un Pinkerton vaillant aux aigus clairs et sans aucune tension. Le public des Chorégies lui réserve pourtant un accueil absolument odieux, sous les huées, pour le sanctionner d’avoir choisi un rôle de « méchant »… Que Bryan Hymel se rassure ces huées sont bien le signe que son interprétation était donc particulièrement convaincante. Pourquoi alors ne pas le féliciter ? Drôle de manie … On gardera plutôt en mémoire le duo final du premier acte que l’on aurait souhaité qu’il continue encore longtemps. L’alchimie entre les jeunes mariés atteignant une sensualité et une langueur absolue.

Enfin, Ermonela Jaho prouve, une fois de plus, qu’elle demeure actuellement l’une des meilleures titulaires du rôle. À tel point que le rôle de Butterfly semblait avoir été écrit pour sa voix. Que dire sinon qu’elle semblait porter à elle seule toute la réussite de cette soirée magique par l’intelligence de l’interprétation, sa musicalité et une incarnation théâtrale d’une poignante sincérité. Toutes les facettes du personnage sont présentes : de la jeune fille du I à la mère déchirée au III en passant par l’amante esseulée au II. Du contre ré de son entrée d’une parfaite rondeur à son « Un bel di, vedremo » déchirant de naïveté et jusqu’au final « Tu, tu piccolo Iddio ! » d’une grande émotion, la soprano albanaise subjugue par son timbre rond à souhait, sa projection généreuse et par son vibrato si singulier. Une grande incarnation musicale doublée d’une incarnation théâtrale au même niveau d’exigence. Chapeau bas !

Si Butterfly ne pardonne pas une interprétation médiocre du rôle titre, elle est aussi la révélatrice de tempéraments et de grands talents. Cette représentation d’ouverture des Chorégies version 2016 n’a peut-être pas révélé Ermonela Jaho (bien connue déjà) mais a largement confirmé sa place au firmament des interprètes actuelles du rôle. Le public ne s’y trompe pas en lui réservant une standing ovation amplement méritée aux saluts. Sous les étoiles d’Orange la magie a opéré ; encore !

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