À deux heures et demie de vol de l'Hexagone, Riga est une ville posée en bord de mer Baltique. Ses petites rues et les places du centre ville donneraient l'impression que le temps s'est arrêté en un espace-temps qui, du XVIIe siècle à la fin du XIXe, laisse vagabonder l'imagination du promeneur. On admire les rues pavées à l'ancienne, les arbres et les jardins, les façades colorées typiquement nordiques ici, les façades néoclassiques sévères plutôt germano-autrichiennes ou russes là, et partout les doubles fenêtres destinées à protéger du froid qui ici peut piquer l'hiver... N'étaient ces quelques édifices modernes bâtis à la place d'anciennes constructions en trop mauvais état pour être relevées et dont il reste quelques exemples envahis par des corneilles mantelées plutôt familières : grandes maisons, hôtels flambants neufs dans un style marqué par l'architecture suédoise et finlandaise qui a su reprendre en les épurant les canons esthétiques anciens dans une ville qui compte 600 000 habitants sur les 1,9 millions de Lettons, capitale dominée par une bonne trentaine d'édifices religieux anciens splendides, un immense marché alimentaire couvert réutilisant la partie supérieure de hangars à zeppelins dans lequel on se promène en écarquillant les yeux, et bien sur l'Opéra qui trône, bordé par un grand boulevard à la circulation très aérée d'un côté, un canal de l'autre, et fait face à un parc. 

C'est là que se tient en alternance avec la station balnéaire toute proche de Jurmala dont les maisons sont construites dans les clairières naturelles de la forêt, le Festival de musique qui porte le nom des deux villes. Avant de retrouver les forces du Festival de Bayreuth qui après leur concert à la Philharmonie de Paris se sont arrêtées les 3 et 4 septembre à Riga, on est allé écouter le récital que donnait Mao Fujita, jeune pianiste japonais né en 1998, et déjà lauréat de deux des Concours internationaux les plus enviés : unique Prix du Concours Clara Haskil en 2017, il recevait deux ans plus tard le Deuxième Prix et la Médaille d'argent du Concours Tchaïkovski de Moscou, l'année ou Alexandre Kantorow ralliait tous les suffrages à l'unanimité. C'est dire si ce Japonais de 23 ans qui se présente à Riga, dans la Salle de la Grande Guilde, est bien coiffé !

Nous ne sommes pourtant pas très nombreux dans ce bel auditorium de style partiellement néogothique, à l'acoustique parfaite, comptant environ 600 sièges. À peine une moitié de salle, pour applaudir et vraisemblablement découvrir un tel artiste ? C'est dommage, mais c'est partout pareil. Fujita entre dans la Sonate KV 457 de Mozart avec une énergie, une fébrilité qui captent l'attention immédiatement. Et pour de bonnes raisons, car rien n'est agressif dans son jeu, tout paraît naturel, spontané, quasi improvisé. Mais dans le même temps, c'est le règne du flou. Non que la virtuosité du pianiste soit limitée : ça non ! Mais il met beaucoup de pédale et n'articule pas de façon très franchement incrustée dans le clavier. Il est souple comme un chat en revanche, et son agogique pourrait sembler trop libre si elle ne s'accompagnait pas d'une pulsation aussi vive qu'irréprochable ; il retombe toujours sur ses pattes. Dans Mozart, sans doute, attendrait-on aussi un chant plus soutenu qu'évanescent et rêveur dans l'Adagio et un Allegro assai plus différencié, plus organisé, mais ce Mozart est personnel, n'est en rien capricieux et est tenu de bout en bout.

En revanche, cette esthétique va sans aucune réserve, doute ou interrogation aux deux Rhapsodies opus 79 de Brahms... enfin jouées sans ces coups de boutoir pénibles marquant les barres de mesure, sans cette raideur qu'on y met trop souvent. Fujita y est chez lui. Que va nous réserver la longuette Sonate opus 5 de Richard Strauss ? Le pianiste joue ses quatre mouvements comme s'ils étaient des pièces caractéristiques à la Mendelssohn ! Fluide, aérien, charmeur, allusif... il y est éblouissant de subtilité, de souplesse, de finesse, mais là encore on note que sa sonorité reste à la surface du clavier que Mao Fujita joue un peu à la Gieseking, si l'on veut. Mais que c'est beau !


Le voyage d'Alain a été pris en charge par le Festival de Musique de Riga Jurmala.

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