La compositrice Outi Tarkiainen a pris place non loin de Michel Plasson, le chef qui a marqué durablement la conscience de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse et dont la présence à la Halle aux grains est rarissime. Le concert de ce jeudi soir débute par la création française de ses Mosaics, une sorte de poème symphonique dont les premières secondes sonnent comme un avertissement : le péril, le danger affleurent. Puis sur un tapis fantasmagorique de contrebasses et percussions, le piano étant frappé dans ses cordes graves par une grosse mailloche, une longue mélodie plaintive des violons s’élève, reprise par le hautbois. Elle sonne comme le cri d’un désespoir désabusé.

Roberto Forés Veses et l’ONCT © Romain Alcaraz
Roberto Forés Veses et l’ONCT
© Romain Alcaraz

Quelques mouvements crescendo ayant l’apparence de révoltes sont tués dans l’œuf. Jusqu’à ce qu’enfin éclate un scherzo glaçant alla Chostakovitch. Puis une longue descente de tout l’orchestre nous ramène dans une forêt très habitée par les cloches, les jeux de timbres, le célesta, vers une extinction en douceur. Les percussions, nombreuses et variées, utilisées avec une imagination débridée, jouent un rôle essentiel dans cette belle œuvre, partie d’un tout nommé Nordic – A Fragile Hope. L’émotion affleure.

Cette même émotion guide Marianne Crebassa dans sa lecture des Kindertotenlieder de Gustav Mahler. Dans un entretien publié par le Capitole, elle assure comprendre, en tant que jeune mère, la douleur qui a été celle du poète Friedrich Rückert et du compositeur mettant en musique ses odes aux enfants morts. Nous avions déjà écouté la mezzo languedocienne dans ces lieder il y a un peu plus d’un an, au Festival Radio France Occitanie Montpellier 2024. Écoutée, pas assez entendue. Qu’en sera-t-il ce soir ?

Là où l’Orchestre Philharmonique de Radio France étalait sa puissance dans l’immense salle du Corum, l’orchestre toulousain a prudemment réduit sa formation ; les cordes ne sont plus que quarante. De fait, l’équilibre est parfait : on perçoit le travail sur le texte accompli par la chanteuse, ses intentions, ses inflexions, mais la diction est naturelle, tout simplement musicale. La plus grande partie de la partition exploite son registre mezzo, dont la limite grave, timbrée, est splendide ; les rares percées dans l’aigu sont d’une sublime fragilité. Mais il faut souvent descendre très bas ; dans sa recherche de volume, Crebassa appuie le son, ouvre trop ses notes. Sans doute le compromis nécessaire pour être entendue… jusqu’aux forte orchestraux de « In diesem Wetter, in diesem Braus », où elle est malgré tout avalée. Heureusement la musique se désintègre dans la douceur et la paix, dans un équilibre retrouvé.

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Marianne Crebassa dans les Kindertotenlieder
© Romain Alcaraz

On va pouvoir ensuite concentrer notre écoute exclusivement sur l’orchestre et son chef du jour : l’Espagnol Roberto Forés Veses, connu en France pour avoir été directeur musical de l’Orchestre National d’Auvergne pendant dix ans. Il va diriger la Cinquième Symphonie de Sibelius. Retour en Finlande, donc.

Après une belle entrée des cors, les bois exposent leur motif avec un relatif prosaïsme. On apprécie des glissements subtils dans les changements de nuances et des effets de volume très maîtrisés par les instrumentistes, mais le chef n’est pas toujours à l’aise dans les changements de tempo permanents et doit forcer sa gestuelle, qui confine à la nervosité dans les dernières mesures du mouvement. Dans l’« Andante », nous retrouvons ce manque de caractérisation, les variations défilent. Aussi le lancement de l’« Allegro molto » nous surprend : les altos sont précis, tendus, puis toutes les cordes enfiévrées – élan brisé par le thème en accords de tierces, qui ronfle dans le vide, avec des trompettes qui devancent la baguette, comme pressées d'en finir.

On repartira néanmoins réconcilié avec l’orchestre, grâce à un rappel intelligent et sensible : une Sérénade pour cordes du compositeur ukrainien Valentin Silvestrov, en hommage vibrant, sincère et habité aux souffrances de ce peuple victime de la guerre.

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