De retour au Théâtre de la Ville où ses œuvres sont régulièrement programmées (notamment son Sacre du printemps qui l’a fait connaître), Marie Chouinard présente cette saison deux œuvres en miroir : la reprise de Henri Michaux : Mouvements, pièce datant d’une vingtaine d’années, et une création sur le Magnificat de Bach, dont elle écrit le titre en majuscules comme pour mieux exacerber la splendeur de cette musique éclatante. Si les deux parties permettent de (re)découvrir le travail de la chorégraphe québécoise selon des approches complémentaires – la danse traduisant en gestes l’art de la composition musicale d’une part et l'art calligraphique d’autre part –, le contraste extrême entre les univers s’avère un peu rude, particulièrement sur le plan sonore, ce qui entrave la réception de la seconde pièce plus sombre en tous points.

C’est la nouvelle chorégraphie qui ouvre la soirée. Lumineux, décomplexé et joyeux, le MAGNIFICAT de Marie Chouinard prend le parti de révéler au travers des corps ce qu’exprime profondément la musique de Bach. Un bref prologue scénographié en contre-jour montre avec poésie la préparation des danseurs et danseuses de la compagnie avant le vrai début, une séquence qui semble indiquer avec délicatesse au public son passage imminent dans un autre monde.
Lorsque les lumières révèlent les interprètes, ceux-ci sont quasi nus, juste vêtus de culottes beiges neutralisant leur genre, et coiffés de chapeaux dorés évoquant des auréoles. Les tableaux suivent l’ordre et l’élan de la partition ; on regrette un instant de ne pouvoir savourer la beauté de cette musique dans une interprétation en direct mais il importe de saluer l’excellente qualité de la bande-son enregistrée tant sur le plan de la diffusion sonore en salle que sur le plan de l’interprétation artistique (on déplore par contre vivement le passage sous silence de la version discographique dans les mentions du spectacle !).
Les danseurs illustrent l’œuvre de Bach en se laissant aller à de grands mouvements au rendu naturel et à l’allure euphorique, le sourire aux lèvres, comme si une forme de béatitude s’emparait de leur être et leur rendait l’insouciance, le rire, la simplicité de vivre. Les scènes en groupe accentuent l’effet de musicalité qui émane continuellement du ballet, tandis que les moments plus intimes (en solo, à deux, à trois) mettent en exergue la théâtralité des visages aussi rayonnante que celle des corps – des soupirs et exclamations d’extase venant ponctuer les tours, sauts ou figures au sol.
Aspect vraiment intéressant de l’approche de Marie Chouinard, la chorégraphie n’est pas figée dans une recherche du sacré mais bien au contraire chargée de sensualité, suggérant que les créatures divines incarnent dans leur chair même la louange de Dieu, qu’elles sont habitées et mues par elle. Tout en révélant cette énergie vitale si puissante, la chorégraphe glisse aussi dans la gestuelle des traits d’humour, une autre lecture amusante de l’enthousiasme naïf et rafraîchissant des danseurs.
Changement d’atmosphère avec Henri Michaux : Mouvements. On assiste ici à un concept original et prenant, l’incarnation animée des taches d’encre du livre par les danseurs. Ainsi, les soixante-quatre dessins de l’artiste peintre et poète sont projetés successivement sur la toile blanche en fond de scène, et un ou plusieurs interprètes habillés en noir s’évertuent à reproduire avec leurs membres les signes qui défilent.
L’intention tout aussi captivante que la réalisation s’accompagne d’un choix musical quant à lui déroutant : du métal, très fort, et pas des plus doux (signé Louis Dufort). Bien que l’intensité du son puisse être mise en lien avec la brutalité du noir des formes dessinées tranchant sur le blanc de la page (ou de l’écran), l’impression de violence qui se dégage de la composition sonore est assez éloignée de l’espièglerie lisible dans les coups de pinceaux de Michaux ou de la malice qui sous-tend leur reconstitution chorégraphique.
La fin de la pièce adopte une tonalité plus électrique encore avec l’utilisation d’un procédé stroboscopique en même temps éprouvant et réussi, montrant mieux encore la décomposition des mouvements, et en creux la multitude d’images figées contenues dans un seul mouvement. Les évocations de « bourrasque », « vacarme » ou « foreuse perçante » du poème de Michaux ont sans nul doute été honorées, mais peut-être au préjudice du reste.

