En ce jeudi soir, les musiciens de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse sont portés par un public de la Halle aux grains très chaleureux, chauffé après une déclaration liminaire d’un violoniste qui a souhaité l’alerter sur les coupes budgétaires de la culture. Les spectateurs applaudiront consciencieusement chaque mouvement du Concerto pour violon de Sibelius puis chaque mouvement de la Sinfonietta de Korngold. Ils feront un triomphe au jeune violoniste ukrainien Bohdan Luts (Premier Prix au Concours Long-Thibaud en 2023) et acclameront la première prestation toulousaine de la cheffe Marie Jacquot.
Les premières notes de Sibelius peinent à émerger de toute cette chaleur. Début introverti, tempo très mesuré, il manque un équilibre entre les pupitres pour ressentir un ensemble. De cette incertitude, le violon de Luts émerge, simple, clair, assuré ; il sera notre ligne. Sa cadence est aussi époustouflante que la reprise de l’orchestre derrière est prudente. Tout est très décomposé et manque de corps, d’unité. Est-ce dû à la battue de Marie Jacquot ? Prudente, la cheffe utilise très peu sa main gauche, comme si elle ne voulait pas gêner le soliste.
Le deuxième mouvement « Adagio di molto » débute par une belle introduction de la petite harmonie, mais la longue phrase thématique du violon émerge péniblement sous des cors lourds. Alors qu’on en attend de la grâce, le « di molto » devient poids. L’ostinato du troisième mouvement, entre des cordes sur la retenue et des timbales trop présentes, ne trouve pas plus son équilibre malgré la virtuosité solaire de l’Ukrainien. Le violoniste renchérira en bis avec le Onzième Caprice de Paganini : liberté, culot, tempo effréné dans le « Presto » central, il emporte l’adhésion.
L’entracte nous permet de nous replacer dans la Vienne effervescente du début de siècle, celle qui découvrait avec stupeur un prodige de la musique. Alors qu'Erich Wolfgang Korngold n’était qu’adolescent, Richard Strauss s’inclinait devant son génie et Bruno Walter ou Gustav Mahler dirigeaient ses œuvres avec gourmandise. Signée par un compositeur âgé de seize ans à peine, la Sinfonietta fait entendre une musique luxuriante, profuse, jouissive.
D’emblée, l’orchestre en trouve le ton, porté par un pupitre de violons conquérants. Dans un matériau thématique assez souple et nettement caractérisé, les idées fusent, les traits jaillissent. Tous les pupitres sont à la fête, chacun étant exploité dans ses plus brillantes possibilités expressives. Peu de solos, beaucoup de nuances, d’élans lyriques et d’expressivité ; notre regard et notre oreille sont sollicités en permanence, notre imagination attirée par des images qui parcourent le temps et l’espace. À l'exception du début du quatrième mouvement, avec son introduction dissonante et le fugato étrange qui suit, c’est une musique qui intrigue peu mais qui séduit follement.

Au cœur de cette jungle sonore, Marie Jacquot ordonne et structure, tient son orchestre. Déployant la force de ses bras, elle fend la matière sonore de son sabre blanc, pointe, élève, tire, retient, le tout en souriant à pleines dents. C'est elle qui a proposé l'audition de cette rare partition de Korngold. Et c’est un orchestre joyeux qui suit ce soleil comme son ombre.