Cela faisait près de trente ans que la compagnie fondée en 1926 par la chorégraphe Martha Graham n’était plus montée sur les planches de l’Opéra Garnier. Pionnière de la danse moderne dans les années 1930, et artiste active jusqu’à la fin des années 1980, Martha Graham a laissé derrière elle un répertoire de plus de cent cinquante œuvres qui ont profondément marqué l’histoire de la danse. Le programme proposé à l’Opéra Garnier permet de revisiter les pièces marquantes des différentes périodes artistiques de la chorégraphe et de découvrir les créations plus récentes de la compagnie dansées depuis la disparition de Martha Graham en 1991.
Cave of the Heart, composée en 1946 sur la partition Medea de Samuel Barber, raconte la tragédie de Médée. L’action est resserrée autour de quatre personnages : Médée, Jason, La Fille de Créon, que choisit Jason comme épouse et le Chœur grec, à la fois omniscient et impuissant face au drame dont il est le témoin. On retrouve le même dépouillement dans la mise en scène, qui s’appuie sur la scénographie minimaliste du designer japonais Isamu Noguchi, et qui met d’autant plus en lumière l’expressionnisme des corps. Les gestes sont sans ambiguïté, les souffles audibles et le maquillage et les grimaces qui tordent les visages rappellent l’éloquence des estampes japonaises. La danseuse Peiju Chien-Pott, dans le rôle de Médée, glisse vers la démence avec une présence scénique fascinante. On ne peut ainsi que regretter qu’à ses côtés Ben Schultz, dans le rôle de Jason, ait si peu de profondeur artistique.
Le programme enchaîne sur Ekstatis, la retranscription d’un solo de cinq minutes dansé par Martha Graham en 1933, et dont il ne restait que des photographies et des témoignages. Interprétée par l’ancienne étoile de l’Opéra de Paris, maintenant directrice de la compagnie, Aurélie Dupont, cette recréation donne à voir un mouvement infiniment féminin, au travers duquel Martha Graham aurait dit avoir découvert « la relation entre la hanche et l’épaule ». Dans la pénombre et une atmosphère japonisante, Aurélie Dupont nous offre un véritable moment de grâce, dans un mode plus personnel et plus réflexif que celui des autres artistes de la compagnie Graham.