La vie est un songe… et celle des maîtres chanteurs de Nuremberg pourrait l’être aussi. La mise en scène du Norvégien Stefan Herheim nous entraîne dans la vie, la folie et les rêves du poète Hans Sachs, figure historique du Nuremberg du XVIe siècle. Entre l'imaginaire de Pedro Calderon, celui de Lewis Caroll ou encore de Jonathan Swift, cette nouvelle production des Maîtres chanteurs invite à la réflexion sur la frontière entre folie et sommeil, illusion et réalité, amour et raison.

Levée de rideau. Le spectateur se retrouve confronté à un homme en chemise et bonnet de nuit réveillé lors d’un cauchemar. Alors qu’il se met à écrire, son secrétaire devient, par le fait d’un zoom puissant, le lieu du spectacle qui nous est donné à voir. Est-ce la rencontre de Hans Sachs / Wagner avec les personnages de ses opéras ? Ce même Hans Sachs nous quitte dans cette tenue de nuit, alors que Walther / Wagner vient de conquérir Eva par la beauté de son chant nouveau et passionné.

La mise en scène et la scénographie nous entraînent dans un intérieur Biedermeier : un intérieur bourgeois gemütlich où se nouent et dénouent les tensions de l’œuvre. Tels les Lilliputiens de Jonathan Swift, les personnages évoluent entre l’armoire et le meuble à tiroirs devenus les maisons de Hans Sachs et Pogner. Les étagères de bois serviront au concours final de poésie. Il est dommage toutefois de faire intervenir les personnages des contes de Grimm lors des deux scènes de folie. L’opéra perd alors en lisibilité et en crédibilité car le côté bouffe est mal rendu.

Le dernier et troisième acte où Hans Sachs renonce à Eva introduit une autocitation dont il convient de saisir le sens. Au-delà de l'identification à Walther, qui par son chant nouveau se heurte aux tenants de la tradition (ici les maîtres chanteurs), et à Hans Sachs, Wagner fait explicitement référence au texte et à la musique de Tristan und Isolde qu’il vient de composer : Hans Sachs se compare au roi Marke et en renonçant à épouser Eva, refuse le destin tragique de Tristan, Isolde et Marke. Les Maîtres chanteurs est aussi un chant d’amour et ce dernier acte constitue d’ailleurs la partie la plus réussie de l’œuvre : magnifique et mélancolique quintette de Hans Sachs, subtile et passionné duo amoureux de Walther et Eva et « beau chant » de Walther lors du concours de poésie.

Les chanteurs servent merveilleusement le livret, tant par leur jeu d’acteur que par leur voix, notamment Gerald Finley (Hans Sachs) qui malgré un jeu trop grandiloquent lors de son réveil domine le plateau par son timbre chaud et puissant et sa présence scénique. Bo Skovhus interprète un Beckmesser prétentieux, ergoteur et manipulateur quand il parvient à exclure Walther à la suite de son audition. Sa sérénade est délicieusement ridicule et on rit beaucoup pendant son combat vocal avec le marteau de Hans Sachs qui marque ainsi ses fautes, comme lui le fit avec sa craie pour Walther quelques heures auparavant. Julia Kleiter nous livre une Eva gracieuse et amoureuse, même si son timbre peine à percer. Brandon Jovanovich interprète un Walther d’abord trop caricatural comme chevalier sûr de sa valeur, puis de plus en plus humain. Les seconds rôles sont également bien interprétés, de Günther Groissböck interprétant un Veit Pogner inquiet car ne souhaitant pas livrer sa fille à Beckmesser, à Toby Spence incarnant un David un peu benêt mais attachant.

Musicalement, la production est menée d’une main de maître par Philippe Jordan qui dirige l'orchestre de l'opéra sans le brusquer, soulignant les voix sans les étouffer, laissant s’exprimer la musique sans créer une cacophonie qu’on aurait pu redouter dans la scène de folie collective. Les chœurs nous livrent également une belle prestation, participant de cette interprétation des Maîtres chanteurs comme d'un chant de vie magistral et joyeux.

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