Quand l'Orchestre Neojiba entre joyeusement sur la scène de la Philharmonie, il fait honneur à la ville de Salvador de Bahia où il a été créé voici quinze ans, sur le modèle vénézuélien de l'Orchestre Simón Bolívar. La plupart des musiciens sont à l'image des habitants de cette ville si africaine et si brésilienne. Bordée par l'Océan Atlantique, elle fait face à la Baie de Tous les Saints chère au grand écrivain Jorge Amado. Salvador a des ressources culturelles et musicales étonnantes. Maria Bethânia et son frère Caetano Veloso y vivent et la chantent, trésors nationaux de la musique populaire brésilienne, comme Gilberto Gil, lui aussi enfant du pays et ancien ministre de la culture. Mais on y entend aussi les fabuleux tambours d'Olodum et quantité de groupes de musique de rue. La ville est aussi le lieu d'un syncrétisme religieux assez complexe qui associe le candomblé venu d'Afrique de l'Ouest et la religion catholique : une magnifique et petite église y réunit même curés et orishas. C'est à Salvador de Bahia qu'est née la capoeira, une danse inventée par les esclaves qui sera rapidement interdite quand les politiciens comprendront qu'il s'agissait en fait d'un sport de combat dont les coups mortels n'étaient jamais portés, l'art du combattant consistant justement à les transformer en gestes fulgurants, précis et élégants. Et partout elle est enseignée dans la ville.

Ricardo Castro et l'Orchestre Neojiba en 2016 © DR
Ricardo Castro et l'Orchestre Neojiba en 2016
© DR

Pourquoi parle-t-on de cela ? Parce que Ricardo Castro et ses musiciens nous ont donné la création française d'une œuvre de Jamberê Cerqueira qui est un portrait généreux et jubilatoire de Salvador. Kamarámusik est un concerto pour berimbau, percussion et orchestre qui tient aussi du théâtre musical. Le berimbau est un instrument à cordes qui ressemble à un arc à une extrémité duquel est fixée une calebasse qui amplifie le son des cordes qui sont frappées, tapotées plutôt, par une baguette de bois dur. La musique de Cerqueria est parfois assez proche de celle du Stravinsky du Capriccio, mais à la brésilienne donc pulsant, swinguant, chantant avec plus de générosité. Elle est jouée par un orchestre de jeunes aussi précis que libre sous la direction de leur chef. Et comment ne pas saluer le fabuleux Raysson Lima qui joue le berimbau en grand virtuose et en comédien et danseur accompli.

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Ricardo Castro
© Ricardo Castro

Et puis quel orchestre ! Pour sa troisième venue à la Philharmonie, il est évidemment totalement renouvelé puisque les musiciens sont des adolescents et des jeunes adultes passés par les programmes d'enseignement de Neojiba qui apportent la musique là où elle est rarement présente – actuellement environ 6000 enfants bénéficient de ce programme. Leur niveau instrumental est celui de bien des orchestres professionnels. Ricardo Castro est leur patron depuis le début : il est connu en Europe pour avoir gagné le 1er Prix du Concours de Leeds et le Concours Geza Anda de Zurich et il dirige le département claviers de la Haute école de musique de Genève. Cet ancien élève de Dominique Merlet est aussi exigeant dans le travail qu'il est bahianais : l'autoritarisme n'est pas son genre. Et quand pour les bis – Aquarela do Brazil et Tico Tico no fuba qui feront chavirer la Philharmonie et danser les dix contrebasses –, il s'installe au fond de l'orchestre avec les percussions pour jouer avec les musiciens sans les diriger, on comprend tout de suite la confiance qui les unit : on ne peut pas mentir à un orchestre de jeunes de ce niveau. 

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Maria João Pires
© Felix Broede | Deutsche Grammophon

En première partie, l'ouverture d'Il Guarany, l'opéra « national » brésilien composé par Antônio Carlos Gomes dans le plus pur style verdien, et le Concerto n°3 pour piano de Beethoven avec Maria João Pires. Elle est une vieille amie de Castro et elle connaît bien Salvador pour y avoir vécu quand elle était en délicatesse avec l'état portugais. Faire jouer par un orchestre pléthorique ce concerto, avec précision et subtilité dans les enchaînements avec une soliste aussi inspirée, au jeu si désarmant de simplicité, si essentiel et se hisser sur les mêmes hauteurs est un miracle... Qui nous a valu un joli quatre mains en bis.

Mais il y avait aussi la Bachianas Brasileiras n°4 d'Heitor Villa-Lobos... et là d'un coup le cœur chavire dans le temps même où la colère nous envahi. Cette musique inclassable, naïve si l'on veut, en tout cas savante et inspirée, émouvante, était autrefois jouée en France mais ne l'est plus. Que la Philharmonie réinvite donc l'Orchestre Neojiba pour donner un de ses grands Choros pour orchestre ou Uirapuru... 

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