L’enchantement qui nous prend à la découverte, au fond d’une armoire antique, d’un petit écrin oublié, voilà l’effet qu’a produit sur nous le concert des Boréades jeudi dernier à la Salle Bourgie. Francis Colpron (flûte) et ses acolytes, Amanda Keesmaat (violoncelle) et Mélisande McNabney (clavecin), déterraient pour le public quelques pierres fines de la musique pour flûte des XVIIème et XVIIIème siècles, à savoir des œuvres de Johann Joachim Quantz, de Friedrich Hartmann Graf, de Jacob van Eyck et de Sybrand van Noordt.

Les premières mesures de la Sonate pour flûte traversière et basse continue en si mineur QV 1:168 de Quantz donnent le ton du concert, construit autour de la passion baroque. L’entrée en matière est appuyée, les lignes sont larges, rondement rendues, une impression de chaleur s’en dégage ; la flûte en particulier, langoureuse, quasi pesante, s’attarde doucement sur ses fins de phrase. La passion, décidément, préside à l’exécution de l’œuvre, mais elle est toujours savamment contenue : si l’Allegretto donne à Colpron l’occasion de se livrer à quelques jeux virtuoses, jamais il ne verse dans l’extatique et déploie ses lignes avec une apparente simplicité.   

Dans la Sonate pour flûte traversière et basse continue en mi mineur de Graf, on note la grande cohésion de l’ensemble, qui accuse un son uni, très organique, loin de toute rigidité. C’est là, également, qu’on remarque combien le rôle de chacun est clairement défini. Colpron évoque le raffinement sentimental, la droiture, l’exactitude ; la chaleur ne manque pas chez lui, mais elle est mesurée. Keesmaat, en contraste, cède beaucoup plus aisément aux émotions, en particulier dans l’Adagio, où elle projette des phrases avec force pour les faire s’évanouir, quelques mesures plus loin, en pointes très fines. Ce sont, chez elle, des couleurs vives et des alarmes soudaines, parsemées de ressaisissements brefs. McNabney, de son côté, est l’intermédiaire essentielle à la réconciliation des caractères et permet à la troupe d’avancer, de suivre une direction commune. Avec ses accords arpégés ou plaqués et ses fioritures galantes, elle apaise le violoncelle et humanise la flûte : elle est le liant de l'ensemble.

Des quelques morceaux pour flûte seule de van Eyck qui ont été joués, Boffons nous a le plus séduit. À un thème simple et joyeux succèdent diverses sections complexes, difficiles à jouer. Colpron s’en acquitte formidablement, et en comparaison des sonates, laisse poindre en son jeu plus d’humeur, témoin les appuis sur les notes puisées hors la tonalité.

L’ardente Sonate pour flûte à bec et basse continue op. 1 n°4 de Sybrand van Noordt concluait le programme. Le feu, les tensions, les charges émotives et la virtuosité y ont été poussés à leur comble. Gageons qu’au sortir du concert plus d’un auditeur se sera senti gagné par la fièvre du baroque.

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