« Je considère la couleur comme une façon de se libérer et de s’exprimer individuellement, ce qui est un enjeu de fond pour toute démocratie vivante », déclare Eun-Me Ahn, interrogée par le Théâtre de la Ville au sujet de sa nouvelle pièce Post Orientalist Express aux mille couleurs. De retour à Paris avec une création plus que jamais déjantée et bariolée, où elle apparait en scène aux côtés de huit danseurs acrobates électrisés, la chorégraphe coréenne présente avec un regard amusé un voyage au travers des cultures orientales allant du Proche-Orient au Japon, en passant par l’Asie du Sud-Est.

<i>Post Orientalist Express</i> &copy; Jean-Marie Chabot
Post Orientalist Express
© Jean-Marie Chabot

La partie la plus explicative de Post Orientalist Express tient dans son avant-propos, qui se déroule avant le lever du rideau. Le cadre et le fond de scène sont décorés de 800 médaillons de tissus orientaux, qu’Eun-Me Ahn et son équipe artistique ont chinés pendant plusieurs années de voyages et de rencontres autour des danses traditionnelles orientales. En avant-scène, sur une grande toile, est projetée une succession de vidéos que contemple sans mots une silhouette noire, recroquevillée sur une chaise dos au public.

On y découvre un bric-à-brac d’images d’Epinal sur l’Orient : des tableaux du XIXe siècle de style orientaliste, animés avec des effets spéciaux, convoquant tout un imaginaire d’odalisques et de peaux de léopards, des extraits du Lotus bleu, de Lawrence d’Arabie, ou encore du Roi et Moi, mais aussi d’attristantes archives de l’époque coloniale. C’est pourtant sans nostalgie ni volonté de culpabilisation qu’Eun-Me Ahn trace la route de son voyage post-orientaliste, mais en brodant avec humour sur ces images rêvées de l’Orient, anciennes et modernes. La dérision est permanente, et poussée dans des délires qui vont parfois un peu loin – mais serait-ce là aussi une limite culturelle entre l’Orient et l’Occident ?

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Post Orientalist Express
© Jean-Marie Chabot

Une femme en kimono, avec une ombrelle et des oreilles de lapin, vient déranger la silhouette transie qui regardait les films en avant-scène. Le ton est ainsi tout de suite donné. Une foule de tableaux fantasmagoriques s’enchaine alors, dans une cadence effrénée, qui perd un peu le spectateur. Deux créatures marchent sur leurs mains, revêtues d’un tissu vert brillant qui les dissimule entièrement, et leur donne des airs de dragons remuants. Tout à coup, ils sautent sur leurs pieds et leurs costumes retournés se transforment en de sobres jupes blanches.

Une princesse masquée en robe blanche somptueuse les rejoint en glissant sur scène avec une théière fumante. Même dans cette scène aux costumes blancs, la couleur rugit sur scène, avec un éclairage disco qui alterne les bleus, verts, jaunes et roses. Sur une musique déjantée, des danseurs en sari aux coiffes fleuries, des bouddhas dorés ou des acrobates à grandes perches et chapeaux coniques apparaissent. À chaque fois, les danses traditionnelles sont altérées ou étirées : la danse bouddhique est accélérée sur des rythmes disco, la danse des perches vietnamiennes devient langoureuse façon pole dance ou acrobatique comme au cirque. Les danseurs, impressionnants dans leur technique, se jettent et rebondissent sur le sol dur, tourbillonnent et exécutent des pirouettes en l’air lancées à toute vitesse.

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Post Orientalist Express
© Jean-Marie Chabot

À la fin de ce voyage enfiévré, une femme vêtue d’une robe de tulle blanc entre en scène, portée à bout de bras par un homme qui la dépose au sol. Des flocons tombent autour d’elle, imposant alors le calme après le tumulte virevoltant qui a précédé, dans un moment de méditation plus poétique et japonisant. Les autres danseurs, identiquement vêtus, la rejoignent en se dissimulant derrière des ombrelles blanches tournoyantes.

Eun-Me Ahn s’avance parmi eux, vêtue d’un kimono noir et or, et esquisse une danse sobre du bout des mains. Le temps semble suspendu. Mais tout à coup, la magie se rompt pour repartir sur un final plus déluré que jamais : Eun-Me Ahn casse une assiette avec son crâne chauve, un panda de trois mètres surgit de la coulisse et la musique repart fracassante.

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Post Orientalist Express
© Jean-Marie Chabot

Divertissant tout autant que déconcertant, Post Orientalist Express finit pourtant par anesthésier son spectateur dans une trop grande débauche de sons et de couleurs. La mise en scène surchargée ne parvient pas à remplir le manque de variété chorégraphique qui, malgré des emprunts à de multiples danses traditionnelles asiatiques, tourne pourtant tout le temps autour des mêmes acrobaties. On a plus l’impression d’assister à un opulent carnaval qu’à une création artistique inspirée.

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