Les Rencontres musicales d’Évian méritent bien leur nom : dans les hauteurs de la capitale de l’eau plate, on peut croiser une quantité de solistes et chambristes réputés qui s’apprêtent à grossir les rangs du Sinfonia Grange au Lac, l’orchestre du festival qui donne chaque année une symphonie de Beethoven sous la direction d’un chef différent. Co-directeur artistique de la manifestation haut-savoyarde, le Quatuor Modigliani invite par ailleurs régulièrement de jeunes ensembles à partager avec eux la scène de la Grange au Lac, ce grand chalet de concert atypique dont l’odeur boisée est reconnaissable même sous les masques chirurgicaux…

Le Quatuor Modigliani et le Quatuor Mona réunis à Évian
© Matthieu Joffres

Cet après-midi, c’est dans le fameux Octuor de Mendelssohn que les Modigliani vont se mêler au Quatuor Mona, formation fondée en 2018 et qui était déjà venue à Évian l’année suivante. L’œuvre se prête particulièrement à ce type de rencontre, le jeune Mendelssohn s’étant vraisemblablement inspiré des doubles quatuors écrits un peu plus tôt par Louis Spohr. Mais le compositeur du Songe d’une nuit d’été va bien au-delà de la confrontation entre deux groupes : son écriture à huit voix passe en un clin d’œil de l’intimité chambriste à d’éclatants tuttis orchestraux, et l’ensemble prend parfois l’allure d’un concerto, la partie de premier violon étant particulièrement virtuose.

Le Quatuor Modigliani et le Quatuor Mona réunis à Évian
© Matthieu Joffres

Cela tombe bien : avec Amaury Coeytaux, l’ensemble bénéficie d’un violoniste hors catégorie, habitué à entraîner tout un orchestre (le musicien a été violon solo de l’Orchestre Philharmonique de Radio France dans une vie antérieure). Exemplaire techniquement, Coeytaux sait surtout donner aux difficiles traits mendelssohniens l’éloquence d’un discours naturel, bavard et plein d’humour, tant et si bien qu’il devient difficile d’écouter le concert sans sourire. Cette bonne humeur est renforcée par la complicité qui unit les artistes, notamment les quatre violonistes qui s’échangent sautillés et ricochets le regard pétillant ! Devant un tel bonheur de jouer ensemble, les approximations d’une interprétation plus brute que tirée au cordeau (légers décalages, équilibres perfectibles) sont franchement accessoires.

Le Quatuor Mona
© Matthieu Joffres

En guise de brève première partie, les Mona avaient la scène pour elles seules dans le Quatuor de Germaine Tailleferre. Jouant debout et avec l’alto côté cour, le quatuor a fait preuve d’un bon mélange d’élégance et de malice dans une œuvre qui gagnerait à être programmée plus souvent – en trois mouvements, la compositrice du Groupe des Six multiplie les allusions habiles et autres exercices de style avec quelques ruptures qui empêchent toute routine. Toujours très justes, les quatre musiciennes ont su varier les caractères et faire circuler les énergies, passant avec aisance de la dentelle du mouvement central aux rugosités du finale. Et si la disposition a pu parfois interroger (l’alto se trouvant désolidarisé du second violon avec qui il a beaucoup en commun), le climax conclusif a apporté une réponse brillante, alto et premier violon joignant leurs forces au-dessus des tenues solides du second et du violoncelle. Dans le paysage foisonnant des quatuors à cordes, il faudra suivre ces Mona, c'est une évidence !


Le voyage de Tristan a été pris en charge par les Rencontres musicales d'Évian.

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