Dans la droite lignée des précédents programmes Balanchine/Millepied/Robbins et Bel/Millepied/Robbins, présentés respectivement en septembre 2015 et février 2016 à Garnier, le Ballet de l'Opéra de Paris revient avec une nouvelle soirée néoclassique qui met à l’honneur trois générations de chorégraphes : Georges Balanchine, Jerome Robbins et les chorégraphes contemporains Alexeï Ratmansky et Justin Peck.

Seven Sonatas, d’Alexeï Ratmansky, créé en 2009, fait son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris. Sur une scène dénuée de tout décor, trois couples de danseurs et un pianiste interprètent sept des innombrables Sonates pour clavecin du compositeur baroque Domenico Scarlatti (1685-1757). Le mouvement fluide et virtuose de la danse se fait ainsi l’écho des mélodies rêveuses des sonates et de leur technicité. Mais hormis cette parfaite musicalité, la chorégraphie ne trouve pas grand-chose à exprimer ni à tirer de cet héritage baroque, et demeure très conservatrice dans sa forme. Aussi courte qu’elle soit, la pièce laisse rapidement percer l’ennui, sans inspirer le trio de danseurs, qui se cantonne à une interprétation sommaire, timidement guillerette. Marc Moreau et Florian Magnenet semblent ainsi peu à l’aise dans ce répertoire guindé, Audric Bezard montre une rigidité hors de propos, tandis que les danseuses Alice Renavand, Laura Hecquet et Aurélia Bellet restent perplexes face à cette chorégraphie peu originale dans sa forme et très superficielle dans son propos. Ce premier morceau reste néanmoins un joli moment musical, joué avec nuance par la pianiste Elena Bonnay.

Le manque de profondeur de Seven Sonatas est d’autant plus frappant lorsque lui succède Other Dances, de Jerome Robbins. Cette œuvre, créée en 1980, prolonge et achève un cycle chorégraphique d’après Chopin, initié par Robbins dix ans plus tôt avec Dances at a Gathering (1969) et In the Night (1970). De la même façon, seuls le pianiste et les danseurs occupent une scène vide de tout décorum, laissant la musique et la danse emplir l’atmosphère. Mais Other Dances laisse s’éveiller un esprit tout autre : l’empreinte originale du folklore slave, cher à Jerome Robbins, et la complicité du couple de danseurs, dont l’expressivité filtre à travers chacune des mazurkas jusqu’à devenir presque narrative. Mathieu Ganio et Amandine Albisson, accompagnés au piano par Vessela Pelovska, dévoilent ici une technique et une symbiose admirables.   

La remontée dans le temps se poursuit avec Duo concertant, créé en 1972 par George Balanchine sur la partition éponyme d’Igor Stravinsky de 1932. La chorégraphie de Balanchine prend la forme d’un duo doublement concertant, mettant en miroir un duo de musiciens (Jean-Yves Sebillotte au piano et Karin Ato au violon) et deux danseurs (Myriam Ould-Braham et Karl Paquette). Ces derniers alternent entre des moments d’écoute et de danse, s’imprégnant immobiles d’une musique suggestive qui leur inspire le mouvement. Si Duo concertant n’est pas la plus aboutie des créations de Balanchine, composée en 14 heures à peine dans une forme qui reste assez classique, elle est cependant l’une de ses œuvres les plus intimes. Myriam Ould-Braham, délicate, gracieuse, évoque avec sensibilité cette ardeur amoureuse, plus élégante dans cette abstraction onirique que son partenaire Karl Paquette.


La soirée se termine par la création In Creases de Justin Peck, sur la musique de Philip Glass, si unanimement affectionnée par les chorégraphes néoclassiques américains. Comme son titre l’indique, la chorégraphie matérialise une recherche sur un espace en tension, un espace « froissé ». Huit danseurs évoluent séparément, créant des perturbations dans cette scène où des ensembles se forment et se désagrègent, où la pointe tournante d’une danseuse semble trouer l’atmosphère, où les sauts et les interactions des corps semblent créer des perturbations de milieu. Malgré sa confondante assurance, Hannah O’Neill présente cependant moins de densité que ses partenaires masculins Marc Moreau et Vincent Chaillet, tous deux superbement mis en valeur dans ce registre plus contemporain. On retiendra également la très belle technique d’Aubane Philbert, talent malheureusement trop peu exploité de la compagnie. 

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