Le Ballet de l'Opéra de Paris rend hommage au compositeur Maurice Ravel dans un programme mixte mêlant néoclassique (George Balanchine et Jerome Robbins) et contemporain (Sidi Larbi Cherkoui / Damien Jalet). Sans fil rouge particulier d’un point de vue chorégraphique, cette rétrospective sur Ravel est surtout un superbe moment musical, magnifiquement dirigé par le jeune chef d’orchestre Maxime Pascal. C’est également l’occasion de redécouvrir le potentiel chorégraphique de la musique ravélienne, à travers Les Valses nobles et sentimentales, La Valse, poème chorégraphique au rythme envoûtant, Le Concerto pour piano et orchestre en sol majeur, délicate rêverie teintée d’accents de jazz et, en apothéose, la mélopée progressive du Boléro.
La Valse de Balanchine (1951) s’appuie sur la suite des Valses nobles et sentimentales ainsi que sur La Valse pour développer une narration abstraite sur l’amour et la mort. S’inspirant de la nostalgie ravélienne des valses viennoises, Balanchine place sa Valse dans l’univers imaginaire d’une salle de bal de la noblesse européenne du XXème siècle, comme le reflète le faste élégant des tutus, des gants et des parures des danseuses. Une rencontre amoureuse se dessine, mais le spectre inéluctable de la mort plane, à travers les personnages des Trois Parques, la symbolique picturale de la vanité, et l’aboutissement tragique de la pièce. Plus remarquable pour son fond que pour sa forme, La Valse de Balanchine laisse néanmoins les amateurs de danse sur leur faim, du fait de la forte prédominance de la pantomime.
En Sol (In G major, dans sa version initiale) est composée en 1975 par Jerome Robbins à l’occasion du centenaire de la naissance de Ravel et entre la même année au répertoire de l’Opéra de Paris. La scénographie imaginée par l’artiste et illustrateur Erté reproduit un univers à la fois allègre et lointain de vacances à la mer, grâce à une grande fresque murale bleutée et des costumes de baigneurs à la mode des années folles. Ces choix de mise en scène, tout comme la danse dont l’allure démonstrative et pimpante s’inspire du musical, soulignent les notes de jazz de la partition de Ravel. Mais l’œuvre donne surtout à voir de magnifiques interprétations, avec Emmanuel Strosser au piano, et surtout la danseuse étoile Myriam Ould-Braham, époustouflante de technique et de grâce dans une épreuve de virtuosité particulièrement frappante.
On plonge enfin dans un autre registre avec le Boléro, point d’orgue musical du programme, dans une chorégraphie contemporaine signée en 2013 par Sidi Larbi Cherkoui et Damien Jalet. Cette version du Boléro s’inspire de l’étymologie du mot espagnol « volero », danse de couple donnant l’impression d’un envol. Dans une ronde cosmique au mouvement fluide et ininterrompu, une dizaine de danseurs tournoient dans la pénombre, semblables à des derviches tourneurs. La vision se prolonge grâce au reflet d’un miroir placé au-dessus de la scène et aux ondoiements de la lumière, dessinant des ondes concentriques autour des danseurs. La noirceur de la mise en scène et les broderies de squelette ornant les corps des danseurs aux visages fardés de peintures tribales transforment ce boléro en une vaste danse macabre. On est loin des inflexions orientalistes de la partition de Ravel, que la chorégraphie n’illustre que par un tournoiement entêtant, tellement vespéral qu’il en devient funèbre. Mais plus regrettable, où est passée dans cette chorégraphie du Boléro la notion pourtant si capitale de crescendo ?