Il y a si longtemps que l'on n'avait pas eu de ses nouvelles, que l'on est allé chercher d'anciennes critiques de ses concerts et récitals pour découvrir qu'aucun article n'avait été publié à son sujet par Bachtrack depuis 2019. La rumeur disait que Rémi Geniet délaissait son piano, qu'il s'était investi dans l'étude approfondie de la direction d'orchestre auprès notamment de Riccardo Muti qui veille sur lui. Et ce n'est pas rien. Deuxième Prix du Concours Reine Élisabeth de Belgique à 20 ans, Geniet en a aujourd'hui onze de plus. Il a publié deux disques chez Mirare dont le second, consacré à des sonates de Beethoven, Diapason d'or de l'année 2017, ne nous est pas inconnu puisque nous sommes l'auteur de la critique qui lui a valu cette distinction convoitée. Mais il n'a rien publié depuis. C'est donc avec impatience que l'on attendait son récital de rentrée à la Fondation Louis Vuitton, dans un programme qui de Scarlatti à Prokofiev nous entraîne de l'invention du piano jusqu'au XXe siècle, juste avant le déferlement d'une musique plus tragique, plus violente aussi. Et il nous souvient que ces œuvres sont à son répertoire depuis longtemps.

Geniet entre en scène dans un costume gris clair, grand et mince, avec une tignasse de cheveux bruns bouclés, marche d'un pas décidé. Il salue brièvement, s'assied et joue immédiatement. L'oreille est accrochée par une sonorité d'une finesse et d'une précision enchanteresses qui s'accompagnent d'une irisation, d'une prise de parole qui ne doit rien à une quelconque sentimentalité. Cette Sonate K 490 de Scarlatti n'est pas des plus connues, et Geniet la joue d'une façon qui en met à nu l'écriture tout en gammes qui se répondent main droite-main gauche, dans un tempo mesuré et une articulation si légère qu'on comprend tout. Peu à peu s'installe un climat mélancolique, sombre, rêveur qui nous apparaît comme très espagnol. Il fait toutes les reprises et ce sentiment devient alors hypnotique. Les deux sonates suivantes sont des merveilles de maîtrise instrumentale subtile dans leur agencement sonore et leurs articulations infiniment variées, et sans jamais qu'il ne surjoue. La dernière et célébrissime Sonate K 96 nous ramène vite sur terre : la musique reste prisonnière d'un piano châtié, heureusement sans aucune affectation expressive, mais elle est dévitalisée tant il refuse de claquer du talon.
Malheureusement cette absence de pulsation, d'élan, une certaine incertitude rythmique aussi, des changements de tempo sans justification vont desservir la Sonate op. 101 de Beethoven. Et ce dès l'entame, aussi somptueuse sur le plan pianistique, avec un équilibre des deux mains miraculeux et une transparence qui font entendre tout avec acuité, qu'elle est curieusement jouée sans élan, d'une façon si statique que rien ne concentre l'attention sur le discours. Geniet privilégie de façon univoque la plastique sonore. Toute la sonate va en être contaminée. Jusqu'à la fugue lisible mais sans ce grand geste beethovénien qui donne l'illusion que le compositeur improvise, qu'il lance sa musique vers le ciel et le public. L'auditeur peine à se frayer un chemin dans un jeu enfermé dans un hédonisme pianistique hors de propos. Et cette sonate qui passe d'habitude en un éclair, ce soir dure, dure...
Quand Geniet attaque le clavier pour la première des Valses nobles et sentimentales de Ravel, on se dresse sur son fauteuil. Mais non, passé ce début, l'attention se dilue avec la pulsation rythmique qui se perd au point que parfois le trois temps se fait quasi quatre temps. Le son est toujours somptueux et précis. Les doigts alertes, sauf dans l'avant-dernière où ils se crispent, mais même quand Ravel superpose des bribes de thèmes à la fin, la magie n’opère plus, car ce piano somptueux n'est pas incarné, pas chargé de sens.
Sans énergie, sans élan, parfois presque trop détaillée et précautionneuse, la Sonate n° 4 « d'après de vieux cahiers » de Prokofiev viendra clore le récital troublant d'un pianiste qui s'écoute plus qu'il ne se met à l'écoute des textes. Liebesleid de Kreisler transcrit par Rachmaninov donné en bis condensera ses qualités – immenses – et ses défauts : ligne de chant, fluidité de rêve et couleurs somptueuses sont désarticulées faute d'être poussées par un rythme souple et qui doit pourtant rester inébranlable.