Surplombant le village de Rosendal et le fjord, l’église de Kvinnherad paraît austère à première vue, avec sa haute façade presque aveugle, percée uniquement par deux petites fenêtres. D’ici partent plusieurs sentiers qui font le bonheur des randonneurs de passage. C’est aussi ici qu’ont lieu certains des concerts du Rosendal Chamber Music Festival, en contrepoint des événements organisés au « quartier général » de Riddersalen. En ce vendredi matin, le soleil est passé depuis peu au-dessus des montagnes, commençant à sécher les prairies environnantes de la pluie des jours passés.

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L'église de Kvinnherad
© Tristan Labouret

À l’intérieur de l’église, le public n’a pas froid, au contraire. Le cadre est d’ailleurs plus chaleureux qu’on ne pouvait s’y attendre de l’extérieur : au-dessus d’une chaire boisée joliment décorée, d’un lustre muni de (vraies) bougies et d’une maquette de bateau suspendue au milieu de la nef, on note la belle charpente arrondie parsemée d’étoiles peintes, qui constitue un écrin acoustique pas loin d’être idéal pour la musique de chambre qu’on s’apprête à y entendre.

Julia Hagen entre en scène, suivie de Roland Pöntinen qu’on a remarqué la veille dans Ligeti. Première Sonate pour violoncelle et piano de Brahms. Une corde de violoncelle ne survivra pas à la fugue finale – sans doute victime des variations d’humidité et de température. À part cet épisode accueilli avec bonne humeur par les artistes comme par les spectateurs, aucun accident ne viendra ponctuer une interprétation totale, impressionnante de justesse et d’engagement : Julia Hagen déploie un jeu intelligent et sensible, généreux mais dénué de toute surenchère, chantant mais jamais criard, doté d’une palette infinie de dynamiques et de timbres. Il y a jusqu’à ses choix de doigtés qui sont bluffants de justesse, donnant au texte de Brahms une éloquence naturelle.

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Roland Pöntinen et Julia Hagen
© Liv Øvland

Dans l’ombre de la violoncelliste, Pöntinen accompagne et oriente le discours. La veille, Yeol Eum Son était une coloriste ; le pianiste suédois fait davantage dans la sculpture, il pétrit le phrasé et l’harmonie, créant des vagues sur lesquelles Julia Hagen navigue aisément – le trio au cœur du deuxième mouvement sera formidable de souplesse et de complicité. Pöntinen ne cherche pas le beau son inutile, il trace sa route et lance vivement une fugue d’anthologie, furieuse, inarrêtable. Julia Hagen lui emboîte le pas sans sourciller pour conclure une interprétation de référence.

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James Ehnes, Yeol Eum Son et Sheku Kanneh-Mason
© Liv Øvland

Pas d’entracte ce matin : James Ehnes et Yeol Eum Son reviennent après leur sonate de la veille, cette fois-ci accompagnés de Sheku Kanneh-Mason pour le Deuxième Trio pour piano et cordes op. 87. La pianiste offre davantage de contrastes, passant d’un jeu léger à un trait épais quand la partition l’appelle. À ses côtés, le violoniste et le violoncelliste offrent une apparente opposition de styles, assez fascinante : la posture droite et classe, l’archet soigné et brillant de James Ehnes fait face à un Sheku Kanneh-Mason souple, à l’écoute hyperactive, qui va chercher son inspiration en se projetant dans le creux du piano ou en levant les yeux vers la voûte étoilée. Tous les deux se retrouvent cependant sur l’essentiel, accordant leurs archets (et même leurs vibratos) quand le texte les rapproche. Cette interprétation consciencieuse manquera cependant d’un brin de folie folk dans le dernier mouvement giocoso ; la fugue folle de Julia Hagen et Roland Pöntinen aura fait office de bouquet final avant l’heure.


Le voyage de Tristan a été pris en charge par le Rosendal Chamber Music Festival.

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