Il n’y a pas foule au domaine de Villarceaux et pourtant l’endroit est particulièrement photogénique en ce samedi ensoleillé de juillet, entre sa demeure du XVIIIe siècle qui surplombe un vaste étang, ses vestiges de château féodal et son extraordinaire parterre sur l’eau. Les Parisiens n’ont peut-être pas osé faire le déplacement jusqu’à ce recoin du Vexin un week-end de grève dans les transports en commun… Quoi qu’il en soit, la plupart des promeneurs présents sont venus dans un but précis : c’est ici qu’Un Temps pour Elles s’est installé pour le dernier week-end de son Festival 2022, dans un ancien corps de ferme transformé en salle de concert.

Loading image...
Le domaine de Villarceaux
© Tristan Labouret / Bachtrack

De l’eau a coulé sous les ponts depuis les premiers projets d’Héloïse Luzzati, violoncelliste, directrice du Festival et avant cela fondatrice en 2020 de l’association Elles women composers qui, comme son nom l’indique, s’attache à ne proposer que des œuvres de compositrices pour contrebalancer une programmation en sérieux déséquilibre dans la plupart des salles de concert. En deux ans à peine, Un Temps pour Elles a multiplié les initiatives, créé un festival, imaginé un calendrier de l’Avent musical en vidéo, organisé un grand concert au Théâtre des Champs-Élysées, lancé un label discographique (La Boîte à pépites) qui vient de publier son premier album : un coffret consacré à Charlotte Sohy, compositrice du début du siècle dernier dont Debora Waldman avait exhumé, voici trois ans à Besançon, la Symphonie « Grande Guerre ».

Loading image...
Le concert dessiné, avec Célia Oneto Bensaid, Marie-Laure Garnier et Héloïse Luzzati
© Jean Fleuriot

Charlotte Sohy figure justement à l’affiche du premier des deux concerts monographiques du jour à Villarceaux, un concert un peu particulier puisqu’il propose de tisser un lien entre la biographie de la compositrice et ses œuvres, en alternant pages musicales et séquences de dessin animé. Le dispositif aurait pu briser le rythme du concert ou paraître trop didactique… Il n’en sera rien, au contraire : l’agencement des pièces et des tranches de vie est habilement travaillé, le dessin (de Lorène Gaydon) est tout en élégance, sobriété du mouvement et poésie de la composition, et l’on se surprend à trouver en Héloïse Luzzati une récitante de premier ordre. La violoncelliste narre les épisodes avec une simplicité de ton qui convient parfaitement au texte écrit, fenêtre ouverte sans militantisme aucun vers l’histoire passionnante d’une femme qui marcha dans les traces de Gabriel Fauré, César Franck et Mel Bonis, côtoya Louis Vierne, Vincent d’Indy ou Georges Enesco et laissa un corpus devant lequel son mari, lui aussi compositeur, s’inclinait.

On s’incline également cet après-midi devant ces œuvres qui ne manquent pas de style, sentent parfois l’orgue dans l’orchestration du clavier (Fantaisie op. 3), alternent chromatismes germaniques et procédés modaux debussystes (Berceuse op. 1, Sonate op. 6), guirlandes ornementales quasi-hispanisantes (Octobre op. 23 n° 1) et intensité lyrique de l’archet (Thème varié op. 15). L’ensemble est servi par une équipe d’interprètes de premier plan, le violoncelle naturellement chantant d’Héloïse Luzzati étant accompagné du violon puissant d’Alexandre Pascal et du piano virtuose de Célia Oneto Bensaid, cette dernière étant particulièrement sollicitée tout le long des deux concerts de la journée. Sans oublier la soprano Marie-Laure Garnier qui, avec son timbre prenant, son souffle parfaitement contrôlé et sa diction impeccable, donne toute leur éloquence aux textes poétiques.

Loading image...
Raphaëlle Moreau, Alexandre Pascal, Léa Hennino, Héloïse Luzzati et Célia Oneto Bensaid
© Alexis Lardilleux

Ce sera plus manifeste encore dans le second concert monographique du jour, consacré à la compositrice croate Dora Pejačević, dont le Verwandlung op. 37a est de toute beauté : les harmonies automnales, la ligne vocale souple et son commentaire par un violon rêveur donnent à la pièce des allures de Quatre derniers lieder avant l’heure. Avant cela, la Sonate slave op. 43 a mis en valeur le violon agile et brillant de Raphaëlle Moreau qui conserve sa classe en toute circonstance, même quand le finale monte en température tsigane. Si le Quintette pour piano et cordes op. 40 se révèle moins marquant malgré sa richesse indubitable (imitations répétitives, architecture des mouvements parfois bancale, idées d’orchestration étranges), le très bref Impromptu op. 9 pour quatuor avec piano, avec son caractère hymnique et sa sensibilité encore toute romantique, synthétise bien le projet d’Un Temps pour Elles : projet d’une chercheuse d’or altruiste qui déniche de vraies pépites pour enrichir ses spectateurs.

****1