Michael Spyres est décidément un cas unique dans le panorama lyrique actuel. Ténor doté d’un registre grave de baryton, il enregistrait justement il y a deux ans un CD intitulé Baritenor, dans lequel il interprétait entre autres des airs de Don Giovanni et Figaro du Barbiere di Siviglia. Mais sa dernière gravure Contra-Tenor (Erato) parue ces derniers mois puise dans un tout autre registre, à savoir en plein cœur du répertoire baroque, en proposant d’ailleurs plusieurs raretés dont trois extraits en première mondiale. C’est ce programme que vient présenter le chanteur américain à l’Opéra Comédie de Montpellier, en compagnie de la même formation orchestrale qui l’accompagne au disque, Il Pomo d’Oro, dirigée du clavecin par Francesco Corti.

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Michael Spyres et Il Pomo d'Oro à Montpellier
© OONM

Même phalange, mais pas le même nombre de musiciens qui sont réduits à sept ce soir au lieu de la vingtaine qu’on peut entendre dans l’enregistrement. Cette configuration donne un caractère encore plus intime à la soirée, dans une certaine ambiance de salon par moments, et maintient également un subtil équilibre entre le chant et la partie instrumentale. Ce petit effectif à cordes – quatuor, contrebasse, théorbe, clavecin – n’en présente pas moins une bonne cohésion et une agréable homogénéité, pour un son expressif et typiquement baroque. Les trois concertos de Vivaldi, Galuppi et Sammartini sont ainsi joués avec une belle précision rythmique, le chef impulsant une large gamme de nuances pour faire vivre la musique, entre attaques mordantes, séquences plus élégiaques et volume qui enfle subitement. C’est en particulier le premier violon en titre de l’ensemble Zefira Valova qui officie ce soir, assurant une qualité irréprochable aux passages les plus virtuoses.

La fusion semble également idéale avec le soliste du soir, ceci dans une acoustique très favorable, les artistes étant positionnés sur scène devant le rideau métallique du théâtre en position fermée. La première impression vocale dans le Tamerlano de Haendel est assez clairement celle d’entendre un baryton, au grave très nourri, plein et profond, d’une largeur impressionnante. Ce sentiment restera tout du long du concert, ses excursions régulières vers l’aigu nous rappelant aussi sa catégorie de ténor. On entend en tout cas un Michael Spyres en grande forme ce soir, cueilli toutefois légèrement à froid pour ses premières sollicitations d’agilité dans Theodora, la rapidité d’exécution se mettant ensuite très vite en place. On retrouvera d’ailleurs ce tout petit temps de mise en route après l’entracte dans Naïs de Rameau, et il faut admettre par ailleurs qu’une telle réserve de puissance chez cet interprète peut décontenancer quand on a dans l’oreille un ténor léger – voire un haute-contre – pour chanter le répertoire ramiste.

L’enchaînement des airs tourne à la démonstration que le titre du concert « Tenore assoluto » n’est pas usurpé, avec en premier lieu une musicalité jamais prise en défaut, surtout lors de l’exécution des intervalles les plus vertigineux qu’on puisse imaginer. Ces moments de pur plaisir pour l’auditeur paraissent d’ailleurs former le but de l’interprète, qui délivre certes un feu d’artifice vocal, mais sans oublier la part d’interprétation et la coloration des mots. C'est particulièrement vrai pour les longs airs aux nombreux couplets répétés (Alessandro nell’Indie de Galuppi ou encore Achille in Sciro de Sarro) pour lesquels le soliste amène des variations dynamiques et mélodiques, bien en ligne avec l’orchestre qui joue sur les contrastes piano – forte.

Quelques airs nous font revivre un certain âge d’or du chant, comme « Se il mio paterno amore » de Siroe, re di Persia de Latilla qui clôt la première partie, ou encore les deux derniers du programme de Hasse et Mazzoni. Notes piquées, enfilades de vocalises, et là encore sauts d’intervalles ahurissants, en particulier le conclusif « Tu m’involasti un regno » en forme de bouquet final où le contraste entre le suraigu en voix de tête et la note grave abyssale qui suit fait même réagir le public qui pouffe – presque – en silence. À l’issue de cette affiche presque exclusivement italienne, Michael Spyres entonne en bis « J’ai perdu mon Eurydice », l’occasion de goûter à sa prodigieuse qualité de diction française, en Orphée de grande ampleur et qui fait passer l’émotion, accompagné avec délicatesse par Il Pomo d’Oro.


Le voyage d'Irma a été pris en charge par l'Opéra Orchestre National Montpellier Occitanie.

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