Mardi 9 novembre à La Filature de Mulhouse, l'Opéra national du Rhin a proposé la dernière soirée de sa production actuelle, Stiffelio de Verdi. Ce chef-d'œuvre effacé du répertoire (notamment en France) revient avec bonheur. Au cœur de la création verdienne, l'expression vocale et théâtrale des sentiments, la clarté de l'action, l'orchestration somptueuse des tuttis et les émouvants solos instrumentaux y sont éblouissants. Les voix magnifiques et l'Orchestre Symphonique de Mulhouse sous la direction sensible et rigoureuse du chef Andrea Sanguineti répondent largement aux exigences de l'œuvre. La sonorité éloquente de la trompette dès la symphonie d'ouverture, le hautbois accompagnant Stiffelio dans l'acte III, les chœurs puissants ou recueillis immergent le public dans une atmosphère brillante mais aussi pleine de doutes, de contradictions, de souffrances, de violence.

Stiffelio à l'Opéra National du Rhin
© Klara Beck

La mise en scène de Bruno Ravella et les décors de Hannah Clark sont d'une parfaite lisibilité. L'action et la musique éclairent le texte, lui donnant plus de force encore. Côté décor, la façade d'une chapelle en bois dépourvue d'ornement demeure au centre de la scène. Les croyants viennent y communier dans des valeurs chrétiennes fondamentales et rigoristes. Sauf pour Raffaele par qui arrive le scandale, les costumes noirs ou ternes complètent cette image puritaine. Lorsqu'éclate la révélation de l'adultère de Lina, l'épouse du pasteur Stiffelio, les hommes se dépouillent parfois de leur redingote noire, laissant leurs chemises d'un blanc éclatant se mêler dans de violents corps à corps. Seules modulations du décor, les lugubres scènes au cimetière de l'acte II forment un extrême contraste avec le finale de l'opéra où l'omniprésence de l'eau symbolise le renouveau, le pardon accordé par Stiffelio à Lina. De superbes jeux de lumière soulignent le sens du drame avec ses forts contrastes.

Stiffelio à l'Opéra National du Rhin
© Klara Beck

Les voix séduisent par la justesse de leur expression et leur dynamisme. La soprano Hrachuhí Bassénz, qui tient au premier plan le rôle de Lina, est annoncée indisposée mais elle assurera sa partie tout en ménageant son instrument vocal. En réalité, à de rares exceptions dans quelques aigus au début, la fragilité intrinsèque du rôle s'accommode complètement de l'état physique de la chanteuse. Celle-ci conserve le pouvoir de susciter la pitié et une sorte d'identification du spectateur à son malheur. Son premier air (« Rodolfo... Oh Perdonate! ») est convaincant avec ses doux accents mélodiques, mélanges subtils d'amour et de remords. Les duos, d'abord avec son père puis avec l'amant qu'elle répudie à l'acte II, laissent éclater son immense désarroi. L'aveu libérateur, le retour à l'amour conjugal restant interdits par son milieu, la voix se fait suppliante tout en affirmant l'authenticité, la légitimité de son repentir.

Dario Solari est Stankar, le père de Lina, héraut convaincant, avec sa voix de baryton basse, des valeurs conservatrices, s'efforçant d'étouffer le scandale de l'adultère. Le timbre est chaud avec un vibrato qui pourrait cependant parfois être un peu moins prononcé. Port, assurance, clarté de la diction en font un personnage passionnant affrontant Stiffelio (acte I) puis l'amant qui a déshonoré sa fille et qu'il veut tuer (actes II et III). Les reproches adressés à Lina (« Lina, pensai che un angelo »), aux accents d'un Giorgio Germont, expriment de manière impressionnante la détresse de ce père bafoué dont l'honneur réclame vengeance. Le rôle de l'amant Raffaele se révèle assez ingrat car sa passion est réelle (quoique sans doute fugace) mais sa situation d'homme traqué l'empêche d'apparaître et de s'imposer au grand jour face à ses deux ennemis mortels, le père qui finira par le tuer et l'époux Stiffelio qui en a l'intention parfois. La voix et le jeu de scène de Tristan Blanchet dessinent cependant avec talent un personnage de résistant, d'un caractère souvent vélléitaire.

Stiffelio à l'Opéra National du Rhin
© Klara Beck

Le rôle de composition du sage Jorg est réussi. Assuré par la belle basse Önay Köse, hiératique et sectaire à souhait, il se tient cérémonieux et complice au côté du rôle-titre. Celui-ci est confié à Jonathan Tetelman. Sans la moindre faiblesse, le ténor impressionne par son aisance technique à toutes les hauteurs d'une tessiture étendue, sa puissance vocale soigneusement contrôlée et son jeu endossant avec un naturel extraordinaire des états d'âme totalement opposés, depuis l'accès de fureur qui le saisit à propos de la lettre découverte à la fin du premier acte jusque dans le finale de l'opéra qui scelle, avec les autres chanteurs et les chœurs, le pardon.

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