Dimitris Papaioannou, pilier de la danse contemporaine grecque, présente au Théâtre de la Ville sa dernière création Still Life (2014). Connu à travers le monde pour avoir chorégraphié la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques d’Athènes en 2004, le chorégraphe est pour la première fois invité à se produire en France et dévoile à cette occasion une forme plus personnelle de son travail.

Avec une œuvre très visuelle, Dimitris Papaioannou propose une variation autour du mythe de Sisyphe, héros condamné par les dieux à pousser un rocher en haut d’une montagne d’où il retombe perpétuellement. S’inspirant de l’exégèse d’Albert Camus, qui voit en Sisyphe une allégorie de l’absurde, le chorégraphe nous montre un combat humain infatigable et irrationnel. Still Life est ainsi une nature morte du mouvement figé dans une inlassable répétition. Sous un éclairage lunaire, plusieurs hommes et femmes s’entremêlent dans des trajectoires et un fil d’actions incohérentes et sans cesse recommencées. Seule l’apparition d’un homme, qui descend les gradins du public et promène son regard sur la scène, tel un témoin, suspend cette agitation perpétuelle. Est-ce là un instant de grâce ou une manière de dévoiler que l’on est absurde qu’aux yeux de l’autre ?

Loin d’une représentation dramatique du châtiment de Sisyphe, l’interprétation du chorégraphe reste légère, parfois même drôle, s’ancrant dans l’optimisme de Camus qui conclut Le Mythe de Sisyphe par les mots « La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux. »

La pierre est également un axe central d’une écriture chorégraphique fondamentalement graphique. Peintre et dessinateur, formé initialement aux beaux arts, Dimitris Papaioannou apporte une touche très plastique à la scénographie. L’attention est d’ailleurs entièrement accaparée par la dimension visuelle, Still Life étant chorégraphiée dans le silence. Evoquant le rocher de Sisyphe, un homme s’avance vers le devant de la scène en transportant sur le dos un mur de pierre, qui s’effrite. Percé en son centre, l’homme est progressivement happé de l’autre côté du mur, tandis qu’un autre personnage glisse ses jambes et ses bras dans le trou, donnant à la silhouette visible côté public composée des membres de plusieurs acteurs, une allure grotesque. Plus tard, un homme secoue une vitre de plastique flexible devant une femme, déformant son image. Ces jeux visuels, en deux dimensions, sont particulièrement bien réalisés. Deux hommes apportent ensuite des piles de pierres et les trient sans aucune logique apparente. Les acteurs arrachent alors d’interminables scotchs sur le plateau, avant de donner des grands coups de pelle dans le tissu diaphane qui recouvre le plafond. Ce décor minimal et minéral est une mise en lumière très esthétique, principale réussite de la pièce.

A rebours de cette inventivité sur le plan scénographique, la chorégraphie en tant que telle comprend quelques longueurs (le long arrachage des scotchs épuise particulièrement les nerfs). A travers ces multiples enchaînements de mouvements abscons, la représentation prend donc une tournure un peu aride et l’ennui ne tarde pas à rattraper le spectateur. Au point que l’on finit par se demander si l’absurde, ce n’est pas nous et notre regard d’une déraisonnable patience. Cet homme, que l’on croyait un témoin descendu dans le public pour dévisager les acteurs, serait-il alors la figure de notre propre absurdité ? Dimitris Papaioannou nous aurait-il pris en dérision ?

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