L’Orchestre Métropolitain, son chœur affilié et trois chanteurs solistes livraient dimanche dernier un concert intitulé « Yannick Nézet-Séguin et l’âme russe », sous la baguette du chef éponyme. Sous ce titre ronflant, des œuvres qui nous venaient de Borodine, de Stravinsky et de Rachmaninov. Si l’on tient compte de la flamboyance du jeu, de la clarté des tableaux, du chatoiement des couleurs orchestrales et de l’émotion directement communiquée au public, ce n’est pas l’âme russe qui a été révélée cet après-midi-là à la Maison Symphonique de Montréal, mais bien plutôt celle du chef d’orchestre.

Les Danses polovtsiennes de Borodine lancent le concert. L’entrée en matière, par l’orchestre, est ferme. Les bois énoncent clairement leurs lignes au-dessus des violoncelles qui fournissent, eux, un accompagnement de pizzicatos obstinés, envoûtants. Dès lors, l’auditeur est plongé dans l’univers du Prince Igor, un douzième siècle russe, fait de steppes immenses et d’horizon bleu. Le chœur apparaît peu après, mais tout doucement, avant de s’installer confortablement au retour du thème principal. Il y a chez l’Orchestre Métropolitain et Yannick Nézet-Séguin un souci très développé de la progression, de manière à ce qu’un thème n’est jamais répété platement : il gagnera en énergie d’une fois sur l’autre, ou s’adoucira, selon l’effet recherché. Au reste, les instrumentistes ont étonné par leur droiture, leur impeccable soutien, tout au long du morceau. Dans la Danse des petits garçons, les altos rendent leurs demi-gammes descendantes avec des coups d’archet secs, insistants, quasi furieux, ce qui donne beaucoup de corps à l’enveloppe sonore et fait écho à l’énergie dégagée par le chœur dans la Danse d’hommes. Belle performance également dans cette première partie du côté des percussions, qui procurent une base solide aux autres instrumentistes et aux chanteurs. Le finale est tout simplement époustouflant : Nézet-Séguin contient l’énergie du chœur et de l’orchestre, dans un tutti monumental, richissime, et leur fait tenir l’accord de nombreuses secondes, jusqu’à la dernière mesure où le tout éclate avec une intensité à couper le souffle.

L’histoire de Petrouchka, imaginée en partie par Stravinski, relève à la fois du burlesque et du tragique. La musique, en accord avec cet univers, présente un aspect très théâtral, multipliant les atmosphères, les caractères et les rebondissements. Elle suit de très près l’histoire, et c’est là que réside le défi lorsqu’on souhaite rendre la musique seule, sans mise en scène ni danseurs : l’orchestre doit raconter. Les musiciens du Métropolitain et Nézet-Séguin, pour lors, se sont faits passer pour des conteurs et l’ont fait de très belle manière. Ce sont des couleurs orchestrales très variées (aux bois, aux cuivres, aux percussions : bravo !), des ambiances contrastées, des modulations senties (marquées souvent par un changement de volume), des silences abrupts qui gardent l’auditoire en suspens, des timbres personnalisés (ici, les contrebasses livrent un son uni et gras, là, les trompettes envoient leurs notes avec mordant), etc. Les musiciens jouent des personnages, s’écoutent et se répondent : c’est un vrai théâtre !

La lecture du poème The Bells d’Edgar Allan Poe a causé une vive impression à Rachmaninov. L’idée lui est venue aussitôt d’une œuvre musicale. Le résultat en est une sorte de symphonie-chorale empreinte de romantisme et aux sonorités évocatrices. Le Chœur Métropolitain nous a ici complètement séduit. Le son qu’il projette est chaud, moelleux, uni. Il faut dire que l’orchestre lui procure une assistance remarquable, et quand les deux fusionnent, le tutti est extatique. À propos des solistes, mentionnons qu’en général, ils ont offert une très belle prestation, en particulier Hugh Russell dans le quatrième mouvement. Là, dans une ambiance macabre, le baryton soliste livre ses lignes avec force et en articulant nettement les consonnes, tandis que le cor anglais tourne lascivement autour de lui, énonçant avec lenteur des phrases serpentines, hypnotiques. L’Orchestre Métropolitain et Yannick Nézet-Séguin n’ont pas fini d’émerveiller. 

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