Alors que les aigus du Steinway commençaient à montrer des signes de fatigue, on s’étonne de ne pas voir entrer d’accordeur sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées à l’entracte du récital de Sunwook Kim. Et pourtant, malgré cette absence de réglage un peu dommage (certaines notes auront un rapport ambigu à la notion de justesse en fin de concert), les deux parties du programme procèdent de deux approches si différentes qu’on croirait presque que l’instrument a changé. Il est intéressant de comparer les sonorités que tirent plusieurs pianistes du même clavier, il est rare de constater une telle pluralité chez un même interprète.

Le concert avait commencé sur les chapeaux de roue. À peine assis, Sunwook Kim attaquait immédiatement le facétieux premier mouvement de la Sonate Hob. XVI:49 de Haydn. Un jeu de pédale parcimonieux arrondit parfaitement un toucher précis sans être sec tout au long de l’œuvre. Le pianiste en restitue avec clarté la structure grâce à une main gauche très agile, toujours distincte et prolixe en articulations – le troisième mouvement, avec son savant mélange de lié-détaché, est à ce titre particulièrement marquant. Tandis qu’on est admiratif de cette maîtrise technique, on regrette cependant une certaine absence de respiration. Comme si le pianiste avait peur d’en faire trop, les phrases s’enchainent sans beaucoup de fantaisie, créant un bel objet ciselé qui ne captive pas l’oreille. Si l’« Adagio » est davantage convaincant, Sunwook Kim phrasant avec attention et éloquence le chant de la main droite, une certaine extériorité prévaut sur l’ensemble de la sonate.
Après un court passage en coulisse, le pianiste coréen refait le coup : à peine assis, c’est au tour des Davidsbundlertänze de Schumann de subir le même traitement. À nouveau la virtuosité pianistique impressionne par la transparence de la polyphonie, pourtant parfois très complexe au cours de certains numéros, en particulier dans les danses rapides, souvent associées à des tempos particulièrement véloces… mais trop imperturbables. L’interprétation manque singulièrement de respiration et de poésie !
Malgré une pédale légèrement plus présente, on entend le même son de piano que dans Haydn, alors qu’un certain legato, une attention aux résonances sont ici de mise. C’est un certain défaut d’attention à la qualité de son qui marque le recueil, avec certains accords plaqués et une gestion frustrante des chants et contrechants : sans être assénés, ces derniers sont à la limite du note à note et auraient mérité plus d’accompagnement et de précaution. Hormis une longue pause au milieu de l’œuvre, comme pour bien montrer qu’elle est composée de deux cahiers, les numéros s’enchainent systématiquement. Si l’immédiateté est parfois propice, des silences auraient parfois ménagé davantage d’effet.
Ce tableau clinique ne rend pas justice à l'assouplissement certain de la proposition à mesure que les mouvements s’enchainent, pour finalement proposer deux ultimes numéros de grande classe, où la respiration ose enfin prendre sa place. C’est sur cette lancée que le pianiste poursuivra son récital en deuxième partie, avec une Sonate D. 960 de Schubert magistrale, aux airs d’éternité. Revenu sur scène, le voilà qui n’attaque pas l’œuvre bille en tête : Sunwook Kim réfléchit, médite son geste à venir, puis, une fois qu’il ressent profondément la musique, commence le long voyage de cette ultime sonate du compositeur.
C’est bien le même piano, mais est-ce vraiment le même pianiste ? Le premier thème moiré irradie doucement d’une ductilité inouïe, avant d’être interrompu par le trille grave, à peine murmuré, aussi inquiétant que chargé de suspense. Tout au long des trois quarts d’heure de l’œuvre, qu’on ne voit pas passer, le pianiste explore les grands espaces schubertiens sur le ton de l’intime avec un toucher attentif à toutes leurs dimensions, en prenant le temps de dire et raconter la musique. Après une première partie de récital qui avait mis en valeur un virtuose accompli, la deuxième a révélé un artiste bouleversant.
Ce récital a été coorganisé par Piano**** et le Théâtre des Champs-Élysées.