
Cette exploration organologique, flottante et scintillante comme une nébuleuse, tourne au dialogue entre des instruments parfois vaporeux, parfois incisifs sous la direction précise de Michael Wendeberg. Le chef se plaît à rendre vivante et organique cette musique qui pourrait pécher autrement par une certaine froideur arithmétique. Rien de cela ce soir, au contraire : la première partie insiste assez peu sur l’accord martelé et récurrent initial, pour se focaliser plutôt sur la virtuosité obsessionnelle des neuf musiciens et sur les énergies rythmiques de l’œuvre. Ainsi préparée, l’oreille de l’auditeur peut se concentrer en seconde partie sur la couleur des alliages instrumentaux, ainsi que sur les flottements mystérieux que le chef met en exergue. L’interprétation ouatée et brumeuse du Boulez Ensemble, si elle tranche peu dans le vif et n’offre pas tous les contrastes que recouvre la partition, permet néanmoins une plongée dans l’atmosphère sonore et harmonique si particulière de cette pièce.
La première partie de soirée était quant à elle consacrée à la Sérénade n° 10 « Gran Partita » de Mozart. À première vue sans grande cohérence avec la seconde partie de programme, l’œuvre de Mozart rejoint pourtant celle de Boulez sur deux points : ce dernier l’a enregistrée au disque en 2008 avec son Ensemble intercontemporain et, à l’instar de Sur Incises, la Gran Partita fait elle aussi appel à une nomenclature atypique puisqu’elle requiert douze instruments à vent et une contrebasse. Pour la plupart issus de la Staatskapelle de Berlin ou du West-Eastern Divan Orchestra (deux formations placées sous le patronage de Daniel Barenboim), les instrumentistes réussissent à rendre une copie parfaite sur le plan de la beauté sonore, de l’écoute chambriste, de l’agilité virtuose.
On regrettera néanmoins que la direction de Michael Wendeberg se fasse ici beaucoup trop interventionniste, pointilleuse et soucieuse d’enchaîner les effets pour pouvoir véritablement installer tout le naturel mozartien censé jaillir de la partition. La musique de Mozart en général – et cette Gran Partita en particulier – nécessite de ses interprètes une forme de distance et d’insouciance apparentes que les musiciens n'ont ici pas réussi à trouver, pas plus que l’atmosphère de soir d’été que l’œuvre requiert. À défaut de légèreté et de délicatesse, on retiendra tout de même le grand Adagio tout en legato sublimé par le hautbois de Fabian Schäfer et la clarinette de Matthias Glander. Se faisant face aux extrémités de l’ensemble en arc de cercle, les deux musiciens ont fait s’élever la beauté pure du chant mozartien dans la grande salle Pierre Boulez, rendant un bel hommage au maître des lieux.