Voces8 est non seulement un brillant ensemble vocal mais également une fondation affectée à la diffusion du répertoire choral et une structure pédagogique auprès des écoles. Le concert du 14 mars fait partie du troisième volet de la fondation : un festival dont les concerts sont accessibles en streaming. Le dénominateur commun aux œuvres présentées ce soir par Emma Kirkby depuis l’église St Anne et St Agnes de Londres est la figure maternelle sous toutes ses formes et en tous temps, de la Vierge Marie jusqu’à Ann et Anna Jarvis, instigatrices de mouvements de rassemblement des mères américaines et farouches anti-militaristes.
Pour illustrer un aussi vaste propos, trois chanteuses et un instrumentarium où le zither banjo voisine avec le théorbe, la harpe ancienne et un magnifique piano Blüthner. Un avant-concert où les artistes dialoguent avec Barnaby Smith, directeur artistique de l’ensemble Voces8, la présentation de chaque œuvre au cours du concert atténuent sensiblement le coté formel du streaming, comme si l’on retrouvait les codes du direct des premiers âges de la télévision… Le De Sancta Maria d’Hidgarde von Bingen, partagé entre les mezzos Helen Charlston et Patricia Hammond et Emma Kirkby donne le ton, l’accordéon 1900 soutient les mélismes envoûtants et renforce l’universalité du propos.
En duo avec Helen Charlston, la soprano britannique livre un Venite sitientes de Monteverdi de toute beauté. Certes l’instrument s’est voilé, l’intonation a perdu de sa précision légendaire mais le sens rythmique et l’attention au texte demeurent admirables au point d’éclipser le riche timbre d’Helen Charlston et son phrasé plus prévisible. Dans l’hypnotique berceuse de Merula, la mezzo construit sa lancinante mélopée sur un lit de cordes pincées, les excellents Aileen Henry à la harpe baroque et Toby Carr au théorbe brillent autant dans l’art de l’accompagnement que dans un duo virtuose de Castaldi.
Le très expressif O maria de Strozzi montre une Kirkby toujours frémissante et engagée, la construction dramatique est pertinente, les aigus purs et (presque) sans accidents, mais c’est dans le Mariä Heimsuchung de Hindemith que la soprano britannique surprend. Quelle belle entente avec l’excellent pianiste Christopher Glynn, quel sens aigu de la langue allemande portée par un médium toujours délicieusement coloré ! Changement de perpective avec le Juxta Crucem de Clémence de Grandval : la combinaison orgue positif et piano, si populaire dans les salons, soutient une Patricia Hammond au style délibérément saint-sulpicien qui n’hésite pas à manier grandiloquence et portamenti. Le timbre prenant de la mezzo sera particulièrement mis en valeur dans l’émouvant Just before the Battle, Mother de George Frederick Root accompagné au banjo par Matt Redman et dans I Didn’t Raise My Boy to Be a Soldier soutenu par une antique guitare Gibson. Deux mélodies de Copland et une déchirante ballade d’Ilse Weber achèvent un voyage où Emma Kirkby nous a insensiblement menés de la poésie mystique médiévale aux chants de l’holocauste avec élégance et simplicité.
Concert chroniqué à partir du streaming proposé par le site Voces 8 Foundation.