Certains musiciens, conscients de leur talent et de leur image, se placent avant tout sous les projecteurs lorsqu’ils entrent en scène, et par des fanfaronnades plus ou moins subtiles ne manquent pas de rappeler ô combien ils sont doués et ont du mérite, redorant ainsi leur blason si cela s’avère nécessaire. D’autres au contraire, non moins talentueux, font preuve d’une humilité et d’une abnégation sans égal devant la partition, s’investissant corps et âme au service de la musique, sans aucune autre prétention superfétatoire. Adam Laloum est assurément de ceux-là, de ces oiseaux rares qui apportent tant à la musique. Sous son apparente timidité se cache un grand musicien habité par une sensibilité exceptionnelle, et le récital de ce dimanche matin placé sous l’égide de Schumann et Schubert au Théâtre des Champs-Élysées ne fera que le confirmer.
Le récital s’ouvre par les Davidsbündlertänze op.8 de Robert Schumann. Dans cette suite de dix-huit « pièces caractéristiques composées par Florestan et Eusebius », le compositeur assume pleinement la dualité de sa personnalité à travers ses deux avatars fictifs, jumeaux antagonistes et romantiques. Florestan est le jeune homme impétueux, vif, pétulant, irascible, alors qu’Eusebius est l’adolescent rêveur, tendre et fragile. Chacun d’eux, à leur manière, reflète les états d’âme du compositeur. Adam Laloum a tout l’air d’un Eusebius lorsqu’il se dirige vers son piano, aussi est-il plus difficile de l’imaginer endosser la personnalité d’un Florestan démonstratif et fougueux. Ce serait cependant méconnaître l’artiste, car sa pensée musicale est si riche, si maîtrisée, que lorsqu’il se met au piano bien des facettes insoupçonnées se dévoilent, se développent, s’entrecroisent ou s’unissent. C’est ainsi que Florestan apparaît dans toute sa gamme de sentiments tourmentés et exaltés, face à un Eusebius éminemment touchant dans sa vulnérabilité frémissante. Malgré un léger empressement excessif quelquefois lors de passages tumultueux, l’interprétation captive immédiatement. Quelles nuances subtiles ! Quelle palette sonore ! Que ce soit dans l’immarescibilité de cette mélopée en apesanteur jouée pianissimo dans la deuxième pièce Innig (intime) qui est reprise dans l’avant-dernière pièce Wie aus der Ferne (comme venant de loin), dans l’élan et la verve des sixième et dixième pièces, dans la finesse du toucher de la douxième pièce Mit gutem Humor (de bonne humeur) ou dans la variété des plans sonores de la quatorzième pièce Zart und singend (tendre et charmant), cette interprétation hautement inspirée de l’œuvre reflète une belle maturité musicale.