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La magie sonore d'Arcadi Volodos à la Philharmonie

Von , 20 Mai 2025

Quand on en vient à essayer de compter les tuyaux de l'orgue de la Philharmonie, ce n'est pas qu'on lève ce soir les yeux au ciel, agacé, furieux contre qui joue, mais bien parce que l'esprit s'égare dans les Moments musicaux de Schubert qu'Arcadi Volodos joue pour le public d'une salle qui n'affiche malheureusement pas complet. Ce pianiste que l'on suit avec attention depuis ses jeunes années ne nous ennuie certes pas, mais ce soir l'esprit sature d'être aspiré moins par la musique que par la façon dont il s'y prend pour obtenir ses sons magiques.

Arcadi Volodos
© Marco Borggreve

Dès qu'il a posé les mains sur le clavier, à peine assis sur cette chaise dont le choix lui cause tant de soucis qu'il en est devenu légendaire, on a été frappé par ce molletonné du son du piano. Les marteaux semblent recouverts du même feutre, fait des doux poils de gorge de lapin, que celui dont Henri Pape recouvrait ceux des Pleyel que Chopin prisait tant. Rien à voir avec celui, dense et dur, des pianos modernes. Et pourtant, le grand Steinway qui est sur scène est un excellent piano neuf dont la facture a tout le progrès moderne. Conjuguée avec l'utilisation de la pédale una corda qui déplace le clavier d'un poil (!) vers la droite, de façon que seules deux cordes de chaque note soient frappées sur les trois tendues au-dessus de la table d'harmonie, cette prise du clavier par des mains et des bras souples produit une sonorité irréelle.

Le piano que Volodos a en tête est l'idéalisation de deux siècles de facture instrumentale. Tout à l'heure, dans la Sonate en la majeur D.959, il ira jusqu'à faire entendre le jeu de buffle des derniers grands clavecins français de Taskin qui trouvèrent une suite dans les premiers pianofortes aux marteaux recouverts de cette peau, avant que Pape n'ait justement, le premier de tous, l'idée de remplacer le cuir par du feutre, ouvrant ainsi la voie au piano qui va dominer le XIXe siècle.

Mais cette magie a une limite : cet afflux permanent d'inventions sonores, de détails jamais entendus avant, ce son intrinsèquement sublime prennent le pas sur le discours du compositeur, sur la forme des œuvres, sur leur énoncé dans le temps, sur cette franchise mozartienne et ce rêve éminemment schubertien qui caractérisent ces six Moments musicaux.

Peut-être devrions-nous nous défaire des réflexes attendus dans ces pièces étudiées avec nos professeurs, chéries sous les doigts de pianistes si différents, que ce soit Serkin, Brendel, Schnabel ou encore Laloum, que ce soit en 1937, en 1980 ou en 2024 ? Ce soir, on en doute. Même si Volodos est l'intégrité faite musicien : il ne nous parle pas de lui, ne se livre à aucune afféterie, pose ou provocation de metteur au point maniaque dans cette musique qui doit être jouée dans son apparente évidence. Non, il est immergé dans la musique qui vient d'en haut, le traverse et va vers nous, sans qu'à aucun moment il ne s'interpose : il est là et transparent dans le même temps. Mais les tempos bougent beaucoup, les caractères s'estompent, la violence s'efface, même quand un fortissimo puissant et dense comme un plein jeu d'orgue vient secouer ce soliloque. C'est très étrange. Surtout que, dès que Volodos joue la transcription par Liszt de Litanei, quelque chose se réveille dans le son qui devient alors plus éloquent avant de repartir dans un rêve dont Der Müller und der Bach ne nous sortira pas : l'angoisse de ce questionnement sans réponse devient alors sérénité.

Sans doute la Sonate en la majeur D.959, l'avant-dernière de celles composées par Schubert, coincé dans une petite chambre dont il ne sortira pas vivant, draine-t-elle trop d'images de la mort pour qu'on les prenne trop au premier degré des évidences. Jouée par Volodos, elle s'en tient loin. Mais la facilité pianistique gomme des tensions qui ne propulsent pas le premier mouvement dans un vide suffocant, fait du célèbre « Andantino » un moment de confidence qui repousse l'angoisse des ténèbres rageuses qui le zèbrent, et du finale un propos parfois comme éparpillé par manque de tension dramatique. On sort partagé d'un récital marquant et intriguant que l'on espère entendre de nouveau bientôt.


Ce récital a été organisé par Piano****.

****1
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“On sort partagé d'un récital marquant et intriguant”
Rezensierte Veranstaltung: Philharmonie de Paris: Grande salle Pierre Boulez, Paris, am 19 Mai 2025
Schubert, Six moments musicaux, D.780
Liszt, Litanei auf das Fest aller Seelen, transcr. from Schubert's Vier Geistliche Lieder, S562
Liszt, Der Müller und der Bach (transcription from Die Schöne Müllerin by Schubert) S 565 no. 2
Schubert, Klaviersonate Nr. 20 in A-Dur, D959
Arcadi Volodos, Klavier
Abend voller Höhepunkte
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