Chanter la mort. Tel aurait pu être titre du concert de ce dimanche après-midi à l'Auditorium de Radio France. Construit autour du trop rare Requiem de Maurice Duruflé, le programme proposait en effet exclusivement des œuvres religieuses de compositeurs français : les Motets pour un temps de pénitence de Francis Poulenc, le Cantique de Jean Racine de Gabriel Fauré et Umbrae mortis de Pascal Dusapin. À la tête de ce cortège funéraire, la cheffe de chœur Martina Batič — qui dirige le Chœur de Radio France depuis un peu plus d'un an — force l'admiration, s'adaptant avec élégance aux contraintes des différentes partitions.
Le Requiem de Maurice Duruflé, pièce de résistance du concert, était ici proposé dans sa seconde version : la réduction pour orgue et chœur. La trame originelle de la partition — le plain chant grégorien tiré de la messe des morts et de la liturgie des défunts — se voit enrichie de luxuriantes harmonies modales. Au sein de ce complexe tissu polyphonique, les voix du Chœur de Radio France se superposent délicatement. Le solo du « Pie Jesus Domine », assuré par la mezzo-soprano Isabelle Druet, met en valeur toute la richesse du timbre de la chanteuse, qui se déploie d'un registre grave profond et chatoyant à des aigus cristallins. Le vibrato et les phrasés, parfaitement maîtrisés, s'accompagnent d'une élocution parfaite.
Dans le solo de baryton du « Domine Jesu », Mark Pancek est moins convaincant. Encombrée d'un pesant vibrato, la voix du soliste peine à communiquer le texte de manière intelligible. Malgré la qualité de la direction Martina Batič, qui conduit le chœur d'un geste à la fois souple et précis, des pupitres laissent entendre quelques accrocs. Les voix de sopranos, mal définies dans les aigus, attaquent bien souvent leurs entrées avec imprécision ; les voix de basses connaissent quelques difficultés d'intonation, notamment dans le « Libera me ». Ces problèmes de mise en place, quoique masqués par une interprétation joliment nuancée, nuisent à la cohésion de la partition de Duruflé. À l'orgue, Mathias Lecomte accompagne diligemment l'ensemble, faisant varier les jeux et maniant le pédalier avec aisance.
Dans le Cantique de Jean Racine, seule autre pièce accompagnée à l'orgue du concert, l'instrumentiste s'était déjà distingué par une interprétation variée et un soutien attentif des chanteurs. Dans la pièce de Gabriel Fauré, ces derniers donnent à entendre des contrastes de masse réalisés avec beaucoup d'adresse et de très belles nuances piano où le son semble s'évanouir, notamment dans le morendo final. Le texte n'est cependant pas toujours très intelligible, et ces soucis de diction se retrouvent tout au long du concert, notamment dans la pièce de Poulenc où le texte du « Timor et Tremor » est peu identifiable.
Avec les Quatre Motets pour un temps de pénitence, le chœur a cappella est confronté à de nombreuses difficultés techniques puisque la ligne mélodique, malmenée par une quantité de sauts intervalliques ainsi que par de nombreux silences, s'agrémente d'audacieuses harmonies. Les pupitres de sopranos et de basses rencontrent à nouveau quelques problèmes d'intonation et de définition des attaques (notamment dans le « Tristis est anima mea »), tandis que la voix de la soprano solo du chœur, Claudine Morley, au vibrato trop systématique, peine à s'intégrer harmonieusement à celles de l'ensemble. En contrepoint de ce manque de cohésion du chœur, la direction de Martina Batič reste cependant d'une grande justesse. Même dans les subdivisions de la partition, où le chœur se voit divisé en neuf parties, la direction de la cheffe est d'une clarté limpide.
Avec l'interprétation d'Umbrae Mortis, le Chœur de Radio France semble enfin s'épanouir dans les nuances éthérées de la brève composition de Pascal Dusapin. Les singularités de la partition, qui comporte notamment des passages en parlé-chuchoté aux voix d'altos (« Kyrie eleison ») ainsi qu'une occurrence d'un intervalle de quart de ton, sont rendues avec beaucoup de précision. Les variations de nuances sont précises, même à bouche fermée, et créent des vagues d'échos qui circulent entre les différents pupitres.
Les cortèges funèbres ne sont pas toujours lugubres ; ce concert, qui alliait à un programme singulier une direction parfaitement adaptée à son objet, en est la preuve.