Il y a foule à la Philharmonie, Gustavo Dudamel y dirige le Los Angeles Philharmonic dans un programme « américain ». La Cité de la musique est à deux cents mètres, très jolie salle modulable qui sonne toujours de façon problématique et le concert de ce soir va le montrer une fois encore. L'Orchestre de chambre de Paris (OCP) propose un programme « Beethoven Passé/Présent » alors qu'un cycle Beethoven vient d'être donné quelques jours plus tôt dans la grande salle. Est-ce la raison pour laquelle l'auditorium de la Cité est loin d'afficher complet ? Tentons une explication : le pianiste invité, Jonathan Biss, bien que déjà venu plusieurs fois au Louvre, à Radio France et au Théâtre des Champs-Élysées, n'est pas très connu à Paris, malgré aussi ses nombreux disques médaillés. Déjà invité lui aussi dans la capitale, le violoniste et chef d'orchestre Pekka Kuusisto l'est encore moins, bien qu'il soit patron de l'Orchestre de chambre de Norvège, premier chef invité du Philharmonique d'Helsinki et qu'il dirige Boston, Los Angeles, Leipzig, la NHK de Tokyo... Et puis, même s'il s'est redressé spectaculairement depuis le mandat de John Nelson, puis grâce au regretté Lars Vogt, l'OCP n'a pas su encore s'attacher un public fidèle.

Les absents ont toujours tort, c'est bien connu, mais nous ne nous attentions pas à un tel choc, n'ayant jamais entendu le chef finlandais diriger cette formation. Forte impression d'entendre un orchestre historiquement informé jouer avec peu de vibrato, une articulation précise, mais n'oublie pas de « penser » la musique sur de longues périodes. Ils savent prendre une phrase et la conduire de façon qu'elle aille au bout de son énoncé, en variant intensité et densité, « sans » vibrato donc mais avec un archet qui ne frotte pas les cordes avec mesquinerie. Ils sont éloquents et sur le qui-vive, tout à leur affaire. Le chef obtient cela et plus encore avec la complicité d'un quatuor à cordes homogène mené par le premier violon Deborah Nemtanu.
Incroyable aussi ce cor alerte sans vibrato, sonnant presque comme une trompe de chasse, et tous ces vents si artistes dans leurs interventions. Quel bonheur ! Pekka Kuusisto dirige avec une décontraction physique anti-totalitaire. Il est là quand il faut et fait confiance aux musiciens pour qu'ils réussissent ce miracle : être ensemble, fondus en un tout qui laisse les individualités émerger et la musique vivre avec rigueur et liberté. Quand commence la Symphonie n° 1 de Beethoven, nous revient instantanément en mémoire le premier concert parisien de l'Orchestre du XVIIIe siècle de Frans Brüggen au mitan des années 1980. Ils avaient donné la même symphonie et c'était comme ce soir, la quadrature du cercle. Les tempos et l'accentuation coulent de source et la précision rythmique est si organique que, dans le menuet, l'OCP et Kuusisto donneraient même des leçons à Nikolaus Harnoncourt ! Le finale est une fête pour l'esprit, une apothéose de la grâce, de la virtuosité ailée et de la force mêlées.
En première partie, il n'y avait eu aucun hiatus dans le Concerto n° 2 entre le grand Steinway de Jonathan Biss et ce style anti-symphonique à la papa. Le pianiste est vif-argent, articule avec incisivité mais une sonorité chantante dans un premier mouvement qui se libère peu à peu jusqu'à la cadence brillante, prend le temps de rêver dans l'Adagio et caracole joyeusement dans le rondo conclusif.
La cadence du premier mouvement a servi de prétexte à Timo Andres pour The Blind Banister, commande du pianiste donnée en création française. Musique d'aujourd'hui ni néoclassique, ni minimaliste, ni post sérielle. Musique « neuve faite avec du vieux » selon le conseil d'Yves Nat, dans laquelle passe un peu de l'esprit de John Adams, de Thomas Adès et de Heitor Villa-Lobos dont des contours mélodiques-harmoniques-instrumentaux zèbrent un instant le ciel d'un concerto attachant et « naturaliste » qui laisse une grande place au soliste pour qu'il s'insinue dans le texte afin de le magnifier. Et l'orchestre n'y perd ni sa transparence ni son sens de la répartie. Biss a commandé cinq concertos à cinq compositeurs différents en écho à ceux de Beethoven : on aimerait vraiment les entendre tous à Paris et pas seulement sur disques puisqu'il les enregistre avec l'Orchestre de la radio suédoise.