2024 étant la dernière année du mandat d’Alexandre Bloch à la tête de l’Orchestre National de Lille, le concert de mercredi dernier était donc l’une des seules occasions qu’il restait d’aller apprécier l’excellence de cette collaboration. Outre un dialogue entre des œuvres de Richard Strauss et Leonard Bernstein, c’était aussi l’occasion pour Patricia Kopatchinskaja de venir présenter la création lilloise de Not Alone We Fly, le concerto pour violon et orchestre du compositeur italien Aureliano Cattaneo.

On connaît la réputation fantasque de la violoniste moldave, son énergie crépitante autant que passionnante qu’elle investit très régulièrement dans la création contemporaine. Cette soirée est une nouvelle preuve de son génie brut : sa présence est hypnotisante, son son puissant, direct, sans concession ; elle crée mystères et volutes à la pointe de l’archet. Derrière la soliste, la musique de Cattaneo qui oscille entre des rythmes obsessionnels et des touches éparses aux frontières de l’expressionnisme permet de mettre en valeur les qualités de timbre de la phalange lilloise. On pourrait même rebaptiser l'œuvre en concerto pour percussions et orchestre tant celles-ci sont abondamment et judicieusement exploitées tout au long de la pièce. On apprécie grandement la construction des crescendos, qui nous fait aisément voyager de brouillard en tempête au gré des humeurs de la violoniste. Au terme de cette œuvre haletante, « PatKop » nous offre, aux côtés d’Ayako Tanaka (violon solo de la soirée), le délicieux Baladă și joc, duo pour deux violons de Ligeti.
Avant cela, en ouverture du programme, Alexandre Bloch et l’ONL nous proposaient Don Juan, le poème symphonique de Richard Strauss. Loin des géants pneumatiques que l’on a dans l’oreille pour cette œuvre, les artistes s’attaquent à ce poème symphonique avec une vision plus brillante voire malicieuse. Et même si l’on ne retrouve pas la largeur ou le soyeux des Wiener Philharmoniker, Bloch nous offre tout le reste. Brûlant, passionné, percutant, narquois, élégant, l’Orchestre National de Lille se montre capable de toutes les incarnations. Louons également les qualités individuelles des solistes de la phalange et notamment du hautbois merveilleux de Baptiste Gibier. La joie décomplexée d’Alexandre Bloch devant son orchestre devient très communicative au fur et à mesure de l’œuvre, rendant certains appels de cors ou autres fortissimos quasi orgasmiques.
C’est via cette exultation sans borne que l’on comprend le parallèle entre Strauss et Bernstein, puisqu’après l’entracte ce sont les Danses symphoniques de West Side Story qui viennent secouer la grande salle du Nouveau Siècle. On retrouve le même feu passionné que dans Don Juan, la même précision dans le rythme comme dans les intentions. Mais Alexandre Bloch parvient à déboutonner encore plus cette musique, à la faire exploser comme si Stravinsky avait mis les doigts dans la prise. Les accents chaloupés du prologue font dodeliner les têtes dans le public aussi bien que dans l’orchestre, le Mambo percutant fait trembler les murs et tout cela pour nous cueillir encore plus facilement dans un Somewhere fabuleux, sur le fil d’une émotion que seuls l’espoir et la passion peuvent créer. Il ne reste plus beaucoup d'occasions d’aller voir Alexandre Bloch et l’Orchestre National de Lille avant la fin de leur collaboration ; on s'en serait voulu de passer à côté d’une soirée comme celle-ci.