En franchissant le seuil de la Grange au Lac, nichée au cœur d’une forêt de mélèzes, le regard se lève aussitôt vers une créature monumentale : l’imposante conque acoustique, aux grandes écailles suspendues. Autour de la scène, les essences claires de pin, de cèdre rouge et de bouleau dessinent un écrin naturel. C’est là, dans la Grange au Lac, que les Rencontres Musicales d’Évian ont trouvé refuge depuis 1976, accueillant chaque été solistes et orchestres de renommée internationale. Invités pour la première fois à Evian, Iván Fischer et ses troupes du Budapest Festival Orchestra s'entassent sur la scène de la Grange au Lac. Il sera difficile de faire entrer un musicien de plus ! Au programme : Kindertotenlieder et Cinquième Symphonie de Mahler.

Gerhild Romberger © Les Mélèzes | Matthieu Joffres
Gerhild Romberger
© Les Mélèzes | Matthieu Joffres

Avant le monument, place au cycle de lieder de Mahler qui ouvre la soirée. Il y aurait presque peu à dire de la performance de Gerhild Romberger : honnêteté, sobriété, timbre profond et solennel. La mezzo-soprano creuse et tient la ligne pour développer un arc de tension intérieur, plein de recueillement. L’ultime lied, « In diesem Wetter », devient sous sa voix un maelström émotionnel, nourri par une orchestration tourmentée. Si les cordes peinent d'abord dans cette acoustique à entraîner tout l'orchestre avec elles, les clarinettes et cors participent pleinement au drame jusqu'au calme d'un finale hors du monde.

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Iván Fischer, Budapest Festival Orchestra
© Les Mélèzes | Matthieu Joffres

Place à la Cinquième de Mahler ! Dès les premières notes de la marche funèbre, Iván Fischer installe un horizon d’apocalypse : un seul appel de trompette fait vaciller l’espace, puis chaque voix s’anime, respire et se tend. Dans la salle, l’acoustique, pourtant soumise à cette architecture monumentale, ne sature jamais. Elle accueille au contraire les puissants effets de masse du Budapest Festival Orchestra.

Le scherzo est un véritable tour de magie. Fischer fait venir le corniste solo Zoltán Szőke à ses côtés. Le mouvement, tour à tour pastoral, altier ou nimbé de légende, balance entre joie bucolique, pas de danse élégants et éclats d’ironie. Ici, le chef et ses musiciens prouvent qu’ils sont avant tout des conteurs : chaque transition et chaque accent regorgent d’images. Avec le célèbre « Adagietto », le climat change totalement. Profond, lumineux, lyrique sans complaisance, il révèle l’élégance naturelle du BFO. Là où d’autres sombrent dans la plainte, Fischer trouve une ligne claire. On entend un chant d’amour sincère, porté par des cordes au vibrato retenu et à la respiration infinie.

Le rondo final libère ensuite une énergie incandescente. Les cuivres rutilent, les percussions claquent et le souffle des cordes semble inépuisable. Dans ce flux joyeux, la virtuosité n’est jamais une fin en soi : elle devient pur plaisir partagé. Ainsi se définit cet orchestre hédoniste. Sous la baguette d’Iván Fischer, chaque pupitre cultive le plaisir du son autant que la rigueur de la partition. Chaleur, générosité, honnêteté : ces qualités, alliées à un niveau instrumental stupéfiant, créent chez l’auditeur un sentiment d’intimité et de gratitude. Le Budapest Festival Orchestra prouve qu’on peut être à la fois virtuose et gourmand, raffiné et joueur, et offrir, à chaque concert, un kaléidoscope inépuisable de couleurs et de nuances.


Le voyage de Rémi a été pris en charge par les Rencontres musicales d’Évian.

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