Il y a belle lurette que le classique a emprunté à la variété les codes de la promotion : on ne fait plus de concerts pour se roder avant d’enregistrer un disque, mais on fait une tournée de promotion du disque qu’on vient de sortir ! C’est ainsi que se présente le récital que donne ce soir Nathanaël Gouin dans l’écrin intime de la Salle Cortot. Enfin presque ! Parce que le jeune pianiste français a l’intelligence d’étoffer le programme de son disque (qu’il ne pourrait d’ailleurs pas reproduire intégralement, faute d’orchestre) avec quelques surprises amicales.
Le titre du disque et du récital – « Caprice » – est un peu tiré par les cheveux, d’autant qu’on ne perçoit pas vraiment le lien entre Johann Sebastian Bach, Reynaldo Hahn et Maurice Ohana, même si l’interprète explique avoir une notion extensive de l’idée de « caprice » en musique. Mais peu importe ! Nathanaël Gouin va nous démontrer, une fois de plus, qu’il est une personnalité originale dans l’univers très encombré des jeunes pianistes, et qu’il a les moyens techniques et artistiques de son originalité.
Le Caprice sur le départ de son frère bien-aimé de Bach nous cueille cependant un peu à froid, avec comme quelque chose d’un peu raide voire guindé dans le discours, et une certaine timidité du son. Survient la première surprise de la soirée : une compositrice, annoncée dans le feuillet distribué à l’entrée comme « Lang Jacqueline » (une sœur cachée de Jack ?), qui s’appelle en réalité Josephine Lang (1815-1880), compositrice de lieder dont deux vont ce soir être joués par la contrebassiste Lorraine Campet. La transposition est des plus convaincantes, la contrebasse se fait tour à tour élégiaque ou mutine, sans que l’on retienne de ces œuvres une grande originalité.
On est heureux que Nathanaël Gouin ressuscite ensuite un compositeur majeur du XXe siècle, Maurice Ohana (1913-1992), qui semble avoir complètement disparu des programmes de concert : sur son disque, il joue le premier des trois caprices composés en 1944 ; ce soir il a retenu le deuxième. Une musique âpre, noble, un piano rocailleux. C'est admirablement servi par l'interprète qui enchaîne avec une partition inédite de Reynaldo Hahn, trouvée dans la bibliothèque François-Lang de la Fondation Royaumont, Mignouminek (1940). Cette pièce virtuose à la manière d’une étude de Chopin est bien loin des musiques de salon auxquelles on associe trop souvent le compositeur d'origine vénézuélienne. Nathanaël Gouin corse la difficulté avec Le Festin d’Esope de Charles-Valentin Alkan qu’il déroule avec un chic et une allure confondants.