Ce soir, l'élégant et intime Théâtre de l'Athénée est joliment décoré de lumières feutrées. Le public est semble-t-il constitué d'habitués du lieu, de mélomanes avides de soirées spéciales et de connaissances des artistes. Et quels artistes ! Alphonse Cemin, pianiste et co-fondateur de l'ensemble Le Balcon, a réuni deux musiciens bien connus des spectateurs du Palais Garnier, à quelques rues de là : Petteri Iivonen et Aurélien Sabouret, respectivement violon et violoncelle solo de l'Orchestre de l'Opéra de Paris.

La soirée s'annonce riche en musique française, mais c'est une rareté qui ouvre le programme : les Danses champêtres de Sibelius, hommage discret aux origines finnoises de notre violoniste de ce soir. Les cinq courtes pièces, subtile synthèse de la virtuosité de Kreisler, de la tonalité populaire des œuvres de Dvořák et des sonates nordiques de Grieg, régalent l'auditeur de leur psalmodie très marquée, à coups d'accents toniques, de rythmes envoûtants et d'harmonies mystérieuses et mélancoliques.
La partie de piano se déploie en arpèges caressants, subtils et discrets. Le violon tient vraiment la première place, et Alphonse Cemin l'a bien compris. Il y a dans son jeu l'élégance effacée d'un Gerald Moore, pianiste favori de Jascha Heifetz pour ses récitals virtuoses. On sent à travers ses doigts la grande intelligence musicale d'un musicien discret mais inventif. Pendant toute la soirée, il traitera le clavier avec beaucoup d'humour et n'hésitera pas à jouer par exemple sur la résonance d'une note lâchée juste un peu trop tôt, donnant aux partitions un caractère vivace et léger.
Si son jeu assume les nombreuses cabrioles violonistiques de la partition, Petteri Iivonen fait tout de même lui aussi le choix de la légèreté, appuyé par un bras droit très aérien, tout entier porté par l'articulation du coude. Un vibrato assez resserré, dont l'intensité varie peu, et un sens des ralentis et des rubatos plutôt évident, ne laissant que peu de place aux effets emphatiques, achèvent de porter une interprétation gracile et délicate de ces savoureuses Danses champêtres.
Le reste du programme est entièrement dévoué à la musique française de Debussy et Ravel, pas si temporellement éloignée de Sibelius. Dans l'acoustique assez peu réverbérante du Théâtre de l'Athénée, les interprètes mettent en évidence le sens du dialogue et de la surprise de ces sonates. C'est particulièrement sensible dans la Sonate pour violoncelle et piano de Debussy, lors de laquelle les musiciens se livrent à un savoureux échange de sonorités, dans un au-delà où les notes deviennent dialogue, où chaque carrure est une réplique, rappelant, comme par jeu, que nous sommes dans une salle de théâtre.
Aurélien Sabouret, formidable violoncelliste, emplit l'espace de sa sonorité dense et marquée, presque rauque parfois, à l'image d'un Marc Coppey ou d'un Pablo Casals. Mais ce qui marque le plus les esprits, c'est son art consommé du pizzicato – qu'on imagine probablement aiguisé par quinze années de ponctuations au sein de l'Orchestre de l'Opéra. Exceptionnelle rondeur dans les arpèges, résonance à nulle autre pareille dans les pizz plus rythmés ; on sent le musicien en parfaite osmose avec son instrument, capable d'identifier au demi-centimètre près l'endroit de la touche où pincer sa corde pour lui assurer un maximum de projection.
C'est une personnalité fort différente que l'on (re)découvre en Petteri Iivonen. N'hésitant pas à brasser l'air de son archet, quitte à oublier parfois un peu le timbre de l'instrument au passage, le voilà qui n'hésite pas à tirer de son instrument les sonorités les plus élastiques, les moins tangibles. Dans la Sonate pour violon et piano de Debussy, il pousse les glissades du premier mouvement jusqu'à exagération, rappelant bien le parfum exotique de ces mesures, hommage marqué aux scies musicales d'Asie. Ses partis pris sont tout autres dans la Sonate pour violon et violoncelle de Ravel, dans laquelle les deux interprètes rivalisent de lyrisme, surtout dans le somptueux mouvement lent où le vibrato se charge d'une densité presque funèbre.
Après cette très belle soirée, un constat s'impose : il faut courir à ces Lundis musicaux qu'Alphonse Cemin programme à l'Athénée, mélangeant avec goût chant, musique instrumentale et lecture de textes. On attend le prochain avec impatience.