Concert à thème ce soir pour l'Orchestre National de France à la Maison de la radio et de la musique ! Selon Benjamin François qui présente ce concert diffusé sur France Musique, « la nature » est apparemment la matrice structurante d'un programme associant la fameuse Symphonie « Pastorale » de Beethoven (pas de doute, on y est) au rarissime Deuxième Concerto pour violon et orchestre de Chostakovitch (c'est déjà moins clair).

En guise d’introduction, voici d’abord Cumulus Humilis, une création de Claire-Mélanie Sinnhuber qui dresse ainsi un pont avec la Symphonie « Pastorale » et ses fameux orages. La compositrice avait pour consigne d'écrire une pièce pour l'une des dernières recrues de l'orchestre. Une belle idée, qui donne à l'excellente flûtiste Joséphine Poncelin de Raucourt, jeune flûte solo du National (passée auparavant par le Capitole de Toulouse) l'occasion de briller dans une sorte de mouvement perpétuel frénétique mais également aérien et ludique. La qualité de son staccato et son endurance remarquable rehaussent l'intérêt d'une partition assez peu inspirée, qui manque d'idées saillantes si ce n'est quelques astuces d'orchestration bienvenues (savoureux duo des percussions et du violon solo en pizzicati).
Bientôt, des applaudissements nourris accueillent le violoniste Christian Tetzlaff. La première phrase du Deuxième Concerto de Chostakovitch est attaquée avec moins de finesse que sur son enregistrement (Ondine, 2014), mais quel son ! Le violoniste franchit sans faiblir les étendues arides que constituent les phrases sans fin de ce petit bijou, dont le seul défaut est sans doute de passer après l'inégalable Premier Concerto. Pourtant, tout y est : lyrisme consumé, articulations acérées, suraigus féroces, danses infernales qui confinent à la folie.
Tetzlaff adopte un parti pris sonore moins implacable et plus bondissant qu'un David Oïstrakh. Sa posture de violoniste est un vrai bonheur à étudier ; tout en souplesse, le voilà qui fait ricocher avec beaucoup de grâce le rythme d'anapeste si caractéristique du finale, pour mieux l'écarteler dans les passages fortissimo, avec un élan et une force brute déchaînée droit depuis son dos jusqu'au creux de ses cordes, à la façon d'un nageur olympique fendant les eaux. La cadence du finale, surtout, coupe le souffle : comment un son si sec peut-il soudain surgir et sonner si juste au milieu d'un discours si libre, presque enjoué ? Le diable se cache dans les détails, dit-on ; il faut sans doute chercher dans les soubresauts de l'archet de Christian Tetzlaff la démence d'une œuvre qui cache sa folie sous un apparent sourire triste.
Dommage que Gemma New et l’Orchestre National de France ne soient pas parvenus, de leur côté, à donner à cette partition l’ampleur qu’elle mérite. Leur académisme un peu aride doublé d’une absence de velléité à caractériser les différents pupitres annonce la Pastorale bien pâle qui va suivre.
En effet, le National, si réjouissant d’habitude, y est visiblement bien désorienté par les mouvements de la cheffe néo-zélandaise dont on a tenté, deux heures durant, de comprendre la battue. La surabondance de gestes est telle qu'elle confère à une simple mesure à quatre temps le statut de chorégraphie. Pas sûr qu'un premier temps, immuable action de la gravité qui attire le bras vers le sol, nécessite un écart du pied droit, un coup de baguette vers le haut suivi d'un mouvement de poignet vers le bas, la levée du bras gauche en direction de la petite harmonie tandis que la baguette amorce un nouveau virage vers la droite, avant de plonger vers la gauche, pour annoncer le deuxième temps.
On serait moins sévère si une telle profusion de gestes ne nuisait pas à la cohésion de l'ensemble (décalages invraisemblables dans l'épisode de la tempête ainsi que dans l'hymne du finale), et si elle amenait ne serait-ce qu'une idée musicale intéressante. Mais ce soir, rien ne sort de l'ordinaire, l'ensemble est terne, les archets bien trop longs et peu énergiques. Seule rescapée du naufrage, la petite harmonie est toujours aussi pertinente et pétillante, avec en particulier de magnifiques solos de clarinette et de flûte.