Samedi 19 juillet à 20h, à l'Opéra Berlioz de Montpellier, Santtu-Matias Rouvali dirigeait un programme de musique russe interprété par l’Orchestre Philharmonique de Radio France et le Chœur de Radio France, rejoints pour une séquence violon par Renaud Capuçon. A l’affiche de la soirée, trois œuvres très denses : une cantate de Prokofiev cantate pour ténor, choeur et orchestre opus 30, le Concerto pour violon (opus 77) de Chostakovitch, et Les Cloches de Rachmaninoff. Un répertoire dont l’orchestre et les chanteurs ont su mettre en valeur le lyrisme et la solennité.

Le chef Santtu-Matias Rouvali s’était déjà illustré la veille en dirigeant d’une main de maître, ou plus exactement d’une main d’artiste, six œuvres de Ravel, magnifiquement restituées par l’Orchestre Philharmonique de Radio France. En réalité, le jeune finlandais est capable d’adapter sa gestuelle à chacun des répertoires qu’il aborde : lorsqu’il s’attaque aux compositeurs slaves, l’espièglerie de ses mouvements, parfaitement adaptée à du Ravel, disparait complètement au profit d’une battue ample et d’une posture affirmée, laissant au grandiose la place de se déployer. La première pièce du concert de musique russe n’est pourtant pas des plus faciles : Sept, ils sont sept est une cantate de Prokofiev pour ténor, chœur et orchestre (1917), courte mais extrêmement imposante en raison de l’effectif requis et du thème retenu. Cette « invocation chaldéenne pour chasser les démons » sur un texte de Konstantin Balmont s’inscrit dans un courant ésotérique et païen faisant appel aux forces primitives, à l’image du Sacre du Printemps de Stravinsky ou de la Suite Scythe que Prokofiev compose un an avant. L’orchestre s’exprime avec force, en suivant attentivement la direction ferme et assurée de l’excellent Santtu-Matias Rouvali. Le ténor Zach Borichevsky évoque avec un regard à la fois menaçant et terrifié les sept dieux-démons de l’origine du monde ; sa voix suave et énergique emplit la salle sans difficulté. Si le texte russe est absolument incompréhensible, la fougue qui anime le chœur compense cette insuffisante articulation, en contribuant par ses intonations nuancées à l’atmosphère incantatoire.

Le Concerto pour violon n°1 en la mineur de Chostakovitch (1905) est joué en remplacement du Concerto pour violon de Sibelius. Œuvre contenant elle aussi « quelque chose de maléfique, de démoniaque et d’épineux » selon son dédicataire David Oistrakh, elle fait se succéder quatre mouvements bien particularisés, dont les deux derniers sont reliés par une longue cadence. Renaud Capuçon en propose une interprétation remarquable. Habité par le phrasé du concerto dès les premières mesures, il insiste avec raison sur les changements de dynamique de la pièce, adoptant un son calme et pur dans le « Nocturne » pour ensuite mieux faire ressortir les accents dans le « Scherzo », où le tempo animé est adopté un peu plus laborieusement par l’orchestre. La coordination entre le soliste et l’ensemble se met progressivement en place : malgré une grande concentration de tous et une construction élaborée de chaque mouvement, la pièce semble difficile à maîtriser avec une parfaite aisance… Mais même si l’on devine la tension qui règne au sein des musiciens, le résultat s’avère très satisfaisant. Renaud Capuçon livre une cadence magistrale qui débouche sur un mouvement final rageur et triomphant.

La cantate Les Cloches de Rachmaninoff (1913) est fondée sur un texte d’Edgar Allan Poe adapté en russe par Konstantin Balmont, le même auteur que précédemment cité. On peut la décomposer en quatre parties selon les thématiques qui se succèdent (chaque thématique correspondant à un paragraphe) : les traîneaux à cloches d’argent ou l’amusement, les cloches d’or ou la félicité nuptiale, les cloches d’alarme ou la terrible clameur du bronze, les cloches de fer ou le funeste glas. C’est d’abord le ténor qui fait bondir les mots joyeux du début du texte ; la soprano Dina Kuznetsova prend le relai, avec une voix ample et riche, pour exprimer la merveilleuse lumière qui émane du ravissement amoureux. Le chœur se fait ensuite l’écho d’un appel effrayant, lancée par des cloches assourdissantes, avec une puissance tout à fait louable ; cependant, les décalages entre pupitres et la tendance des choristes à presser altèrent la qualité de ce passage imposant. Il est probable que la configuration de la scène y soit pour quelque chose, le chœur étant situé à une distance vraiment importante du chef ! Le baryton-basse Juha Uusitalo conclut la cantate avec la profondeur et la gravité nécessaires, doublées par le ton recueilli de l’orchestre. L’œuvre se termine par un abandon du mode mineur pour le mode majeur, délicieuse ouverture vers un ailleurs apaisant.

La diversité des couleurs présentes dans les univers complexes de trois grands compositeurs russes a été soigneusement respectée par l’Orchestre Philharmonique et le Chœur de Radio France, menés avec une intelligence admirable par Santtu-Matias Rouvali. Renaud Capuçon confirme lui aussi la finesse de son approche du grand répertoire. Reste le problème de l’appropriation incomplète des œuvres, lesquelles perdent sans doute en musicalité quand elles ne sont pas assez familières aux interprètes pour leur permettre de se détacher de la partition… 

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