Présents pour L’Enlèvement au sérail qui ouvrait la veille au soir l’édition décennale du Festival international de musique de Marvão, le Président de la République portugaise et sa suite ont quitté le petit village ; le temps pour Marcelo Rebelo de Sousa de décorer Christoph Poppen de l’Ordre de l’Infant Dom Henrique et de réaffirmer le haut patronage sous lequel se déroule la manifestation. Malgré le programme de cette soirée d'ouverture, le festival n’a rien à voir avec l’opéra, Christoph Poppen confiant en aparté avoir réalisé une exception pour marquer d’une pierre blanche le dixième anniversaire de l’événement. Car l’identité du festival est ailleurs, sans doute dans la singulière diversité de sa programmation dont la suite du week-end donnera une idée.

Os Músicos do Tejo à l’église Nossa Senhora da Estrela © FIMM - Paulo Gouveia / Estela Álvarez Ruiz
Os Músicos do Tejo à l’église Nossa Senhora da Estrela
© FIMM - Paulo Gouveia / Estela Álvarez Ruiz

Comme ce samedi matin où le public se presse, aux portes du village, à l’église Nossa Senhora da Estrela pour un concert baroque proposé par l’ensemble (sur instruments d’époque) Os Músicos do Tejo : à l’affiche, une mosaïque de compositeurs portugais parmi lesquels Carlos Seixas ou Pedro António Avondano. Après une première partie où enchantent la mezzo Rita Filipe et l’envoûtante guitare portugaise – sorte de mandoline à douze cordes – de Miguel Amaral dans les airs italiens de Francisco António de Almeida, le concert prend après l’entracte une autre dimension. Habillée de cordes en pizzicati, Rita Filipe retrouve sa langue natale dans Toda a minha alma se abrasa amante d’António Teixeira, sérénade sublimée par la chanteuse qui, douée d’une ardente spontanéité, trouve la voie de l’incandescence.

Ensuite, quelques lundums offrent à la mezzo, par ailleurs étudiante au CNSM de Paris, l’opportunité de briller dans un registre plus léger mais non moins réjouissant : riche dans le grave, ardent dans les aigus, son timbre chaleureux rivalise d’agilité et de ciselure sur les syncopes lascives de ces danses ibériques. Ses duos avec la soprano Sandra Medeiros dans les modinhas enivrantes de José Palomino ou Francisco Xavier Baptista concluront avec fièvre ce concert inattendu. On oublie vite l’acoustique facilement saturée du vaste vaisseau aux murs dénudés…

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La Messe du couronnement dans l’église Nossa Senhora da Estrela
© FIMM - Paulo Gouveia / Estela Álvarez Ruiz

On l’oubliera tout aussi vite le lendemain lorsque le curé, depuis l’autel, y prononce sa traditionnelle homélie, sermon du dimanche oblige. L’occasion de mettre à l’épreuve sa charité chrétienne face aux infortunes d’un micro récalcitrant, mais surtout de replacer la Messe du couronnement de Mozart dans son environnement originel, celui du culte catholique ; l’émotion n’en est que plus vive. Soutenus par un Coro Ricercare fervent à souhait, le quatuor de solistes (Juliane Banse, Anna-Doris Capitelli, Tiago Souza, Laurence Meikle) trouve l’équilibre entre pudeur et exaltation, duquel émerge cette simplicité mozartienne si délicate, si ténue, mais résolument poignante. À faire vibrer les marbres polychromes du chœur richement orné.

Il faut dire que l’Orchestre de chambre de Cologne, habilement emmené par un Christoph Poppen attentif aux équilibres sonores, s’y montre à son avantage : l’écoute mutuelle entre les pupitres est exemplaire et le soin porté à l’accompagnement des chanteurs jamais contraint. Avec quelle délicatesse la petite harmonie pare le soprano de Juliane Banse dans le Kyrie introductif ! Peut-être les musiciens se sont-ils inspirés du concert de la veille où, dans l’aria Infelice de Mendelssohn et le Concerto pour violon de Beethoven, ils démontraient les mêmes qualités. Ce samedi soir, malgré la fraîcheur du vent déferlant sur la cour du château, Veronika Eberle tire de son Stradivarius les plus agréables sonorités et, portée par une pulsation naturelle, par la fougue d’un élan sans compromis, propose dans l’impétueux premier mouvement une vertigineuse hauteur de vue. On pourrait préférer un rondo plus grinçant, une main gauche plus joueuse, mais la verve imposée par l’archet, exempte d’afféterie, balaie de son éloquence toute réserve. Galvanisant !

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Veronika Eberle, Christoph Poppen et l'Orchestre de chambre de Cologne
© FIMM - Paulo Gouveia / Estela Álvarez Ruiz

Mais Marvão, c’est aussi plonger dans l’atmosphère intimiste et recueillie de l’église São Tiago qui, perchée sur les hauteurs, près de la forteresse, accueille les concerts de musique de chambre. À ce titre, outre le flux ininterrompu que maintiennent Dan Zhu et le pianiste Kun-Woo Paik dans la Sonate pour violon n° 2 de Busoni le samedi, on retiendra le brûlant Trio op. 66 de Mendelssohn des Sitkovetsky le dimanche – tout simplement à couper le souffle. Du clavier nettement défini de Wu Qian à la renversante énergie du violon d’Alexander Sitkovetsky, en passant par la musicalité à fleur de peau d’Isang Enders au violoncelle, les trois complices ouvrent grand les bras à l’expressivité, sans jamais empiéter sur la justesse ni la précision – redoutable dans le scherzo. Marvão, c’est réunir dans un mouchoir de poche ce kaléidoscope de lieux et de concerts radicalement différents et, ainsi entraînés par un tel engouement, assurément mémorables !

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Le Trio Sitkovetsky dans l’église São Tiago
© FIMM - Paulo Gouveia / Estela Álvarez Ruiz

Le voyage d'Erwan a été pris en charge par le Festival international de musique de Marvão.

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