Et si, à la place d’un déjeuner en terrasse place de la Comédie, nous allions rendre un hommage à nos chers disparus ? C’est la proposition du pianiste Gabriel Durliat, dans le cadre du Festival Radio France Occitanie Montpellier : dans la petite salle Pasteur du Corum, il nous convie à un tour des « tombeaux » de la musique, ces œuvres écrites à la mémoire d’un musicien. Le programme est remarquable : Messiaen rend hommage à Dukas, qui rend hommage à Debussy, qui rend hommage à Rameau. Et bien sûr, Ravel à Couperin ! Une larme de Rameau, une surprise de Rihm, et nous tenons notre heure de musique.

Gabriel Durliat est un jeune artiste à suivre, on l’a déjà suggéré sur Bachtrack. À 23 ans, son parcours interpelle, entre composition, classes de direction d’orchestre et de piano. Alors qu’il s’est déjà frotté à La Roque d’Anthéron, il avoue pourtant son émotion de jouer pour la première fois au Festival de Radio France. Cette émotion est palpable en introduction, pensée pour « fixer l'architecture du récital » (dixit le programme de salle), avec le « Ricercare a 6 », extrait de L'Offrande musicale de Bach. Les quatre entrées de la fugue sont surjouées, lourdes. Les carrures manquent de souplesse, de vie. Les mains tremblent ; on a un peu peur, mais il va au bout.
Aussi quelle surprise quand Durliat se jette littéralement dans le cinquième Klavierstück de Wolfgang Rihm, sous-titrée « Tombeau ». Il a la rage. C’est une pièce toute en violence, en coups de fouet d’une extrême virtuosité. Même si le compositeur utilise des formules pianistiques connues, le langage est déconcertant et imprévisible. Bousculé, on se laisse gagner par la colère que déploie le pianiste avec impétuosité et une maîtrise de chaque instant. Les contrastes sont très marqués, nous laissant à la fin étourdi par la puissance du jeu.
D’un extrême à l’autre, on plonge sans transition dans la grande mélancolie des Tendres plaintes de Rameau. Le pianiste dégage une ligne claire, limpide, dans laquelle il insinue habilement le sentiment le plus triste. Puis Debussy rend un Hommage à Rameau qui nous permet de découvrir une nouvelle facette de Gabriel Durliat, scintillant dans les harmonies chromatiques, sans rigueur comme le réclame le frontispice et donc avec une forme de liberté et de recul, mais rigoureusement aligné sur les exigences de la partition, jusqu’au quadruple piano final.
Le toucher de Durliat, subtil et rayonnant dans l’extrême aigu, nous permet de mieux goûter l’étrange et inclassable plainte, au loin, du Faune, « Pour le tombeau de Claude Debussy » de Paul Dukas. Il s’en dégage des harmonies étranges, tout comme dans la Pièce pour le tombeau de Paul Dukas de Messiaen qui nous rappelle tant les couleurs des Visions de l’Amen. Des couleurs sereines, confiantes, des cascades d’accords que le pianiste rend avec justesse.
Enfin, Gabriel Durliat enchaîne les six tableaux du Tombeau de Couperin de Ravel avec gourmandise, passant avec aisance d’une atmosphère à une autre, comme s’il voulait nous faire la démonstration d’un savoir-faire anciennement acquis. Prise sur un tempo culotté et maîtrisé, une « Toccata » éblouissante et lumineuse conclut le cycle, avant une Pavane pour une infante défunte en bis pour que Ravel puisse se rendre hommage à lui-même, 150 ans après sa naissance.
Le déplacement de Thibault a été pris en charge par le Festival Radio France Occitanie Montpellier.