L’excellence de l’interprétation peut-elle faire oublier l’incohérence de la construction d’un programme ? En ce vendredi soir à Bozar, le Belgian National Orchestra avec Hugh Wolff à sa tête semble nous démontrer que oui. Véronique Gens aura également su tirer son épingle du jeu à travers de somptueux Rückert Lieder.

Véronique Gens © Franck Juery
Véronique Gens
© Franck Juery

La présence de la Symphonie n° 34 de Mozart en ouverture de programme demeure tout de même étrange. L’orchestration classique et la grande homogénéité de l’ensemble contrastent un peu trop avec les pièces qui suivront. On peut cependant louer les qualités de timbre et d’élégance du discours qui caractérisent une interprétation mozartienne de belle facture, même si légèrement trop sage à notre goût.

En deuxième partie de concert, l’ouverture de Béatrice et Bénédict de Berlioz et la Symphonie « italienne » de Mendelssohn n’auront, quant à elles, rien de sage. La rhétorique nerveuse et brillante du compositeur français possède de nombreux points communs avec son homologue allemand. L’empressement et l’espièglerie de l’ouverture font écho au Saltarello de la symphonie, tout comme son lyrisme et sa légère noirceur trouvent une correspondance avec les autres mouvements. Sur le podium, Hugh Wolff préfère cependant se concentrer sur la précision de l'ensemble, sans encourager excessivement l’héroïsme rutilant qui peut émaner de l'Allegro vivace qui ouvre la symphonie. Et même quand le tempo du finale mendelssohnien s’emballe, dans une virtuosité qui donnerait presque le tournis, les violons et les flûtes restent imperturbables. Le chef américain aura su ménager un bel équilibre entre les différents pupitres, évitant ainsi l’aspect redondant que l’on peut attribuer à cette œuvre, en offrant de forts contrastes et de belles saillies de clarinette ou de cor.

Le sommet de la soirée restera cependant les Rückert Lieder de Mahler, emmenés en première partie par une Véronique Gens à fleur de peau et par la direction délicate de Hugh Wolff. Ces petites aquarelles composées par un Gustav Mahler quarantenaire représentent un des rares moments heureux de la vie du compositeur. Cette sérénité se retrouve admirablement dans le visage et dans la déclamation de la soprano française. D’une voix sûre, elle dessine les difficiles circonvolutions de « Blicke mir nicht in die Lieder » et n’hésite pas à donner davantage de son pour « Um Mitternacht ». Sa grande sensibilité conjuguée à la direction subtile et pointilliste de Wolff amène l’interprétation de « Ich bin der Welt abhanden gekommen » dans des mondes de délicatesse et de poésie. Ce lied est aussi l’occasion d'un rapprochement admirable entre Véronique Gens et Bram Nolf au cor anglais : les deux artistes possèdent ce vibrato intense et cette profondeur de son qui produisent immédiatement une intense émotion. De la félicité à l’apaisement, les interprètes nous emportent en un tout autre lieu, comme dans les vers de Friedrich Rückert : « Je suis mort au tumulte du monde, et goûte le repos, en une paisible contrée ».

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