S’il est un des violonistes les plus appréciés du moment, Augustin Hadelich ne se produit malheureusement que rarement en Belgique. À en juger par le nombre de violonistes présents dans le public à Flagey pour entendre le virtuose américain – quoique né de parents allemands en Italie où il reçut sa première formation avant de se perfectionner à la Juilliard School –, sa venue à Bruxelles où il était programmé avec le Brussels Philharmonic sous la baguette de son directeur musical Kazushi Ono était attendue avec beaucoup d’intérêt par nombre de connaisseurs.

Augustin Hadelich © Suxiao Yang
Augustin Hadelich
© Suxiao Yang

C’est dans le concerto de Brahms que Hadelich a choisi de se faire entendre. Il ne faut pas longtemps pour comprendre qu’on a affaire ici à un musicien vraiment intéressant, doté d’une réelle personnalité, aussi probe que sensible. Parfaitement soutenu par un Kazushi Ono à la direction toute de clarté et de naturel, le soliste captive dès sa première entrée dans un Allegro non troppo abordé avec un superbe mélange d’énergie sans brutalité et de lyrisme sans afféterie. On apprécie à tout moment un superbe talent de conteur construisant avec intelligence une interprétation entièrement au service de l’œuvre pour en arriver à une cadence superbement construite – due au soliste lui-même, et qui ne le cède en rien à celle d’origine de Joseph Joachim, dédicataire du concerto.

Après une très belle introduction au hautbois, le violoniste se montre d’une grande délicatesse dans le deuxième mouvement Adagio où on admire sa façon d’assurer une continuité sans faille du discours. Il faut dire que, grandement aidé par son instrument – le superbe Guarnerius Leduc qui appartint jadis à Henryk Szeryng –, il déploie une sonorité de toute beauté qui n’est que l’un des aspects d’une technique absolument irréprochable, à commencer par cette sensation qu’il donne de disposer d’un archet d’une longueur infinie.

Hadelich ne se crispe à aucun moment dans le finale qu’il aborde d’un archet bondissant dans une atmosphère débridée et chaleureuse, concluant une enthousiasmante interprétation solidement ancrée dans la tradition et le respect de la partition, mais sans la moindre trace de routine. L’accueil chaleureux du public remplissant le Studio 4 est récompensé par un bis peu commun, le Louisiana Blues Strut du compositeur afro-américain Coleridge-Taylor Perkinson.

Changement radical d’atmosphère après l’entracte avec la Troisième Symphonie « Le Divin Poème » de Scriabine. À la tête d’un orchestre extrêmement fourni (huit cors !), Kazushi Ono doit être félicité pour avoir pris le risque de ce choix peu conventionnel. On le sait, les interprétations du chef japonais sont invariablement marquées par une superbe musicalité et une exquise finesse. Ce sont paradoxalement ces qualités qui vont poser problème dans cette interprétation soignée et raisonnable, mais trop timide. Face à une œuvre aussi ouvertement dionysiaque, toute de sensualité et démesure, est-il bien utile d’être un chef d’orchestre probe et soigneux ? Il faut pour rendre justice à cette musique si particulière un interprète capable de chauffer un orchestre à blanc sans prêter la moindre attention aux bonnes manières ni craindre l’excès, voire le grain de folie. Si on est reconnaissant de pouvoir entendre cette œuvre rare au concert, ce Divin Poème vraiment bien trop sage aura laissé plus d’un auditeur sur sa faim.

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